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tombent jamais sur quelque objet déplaisant. Ils possèdent de belles mosaïques, des stucs brillans, des incrustations de marbre où leurs yeux se reposent volontiers. L’éclat fatigant des pierres blanches a été partout adouci par des nuances agréables; les murs sont peints en gris ou en noir, les colonnes teintées de jaune ou de rouge. On ne saurait croire combien ce coloris léger donne un air riant à la maison. Le long des corniches courent des arabesques gracieuses, composées de fleurs entrelacées, où se mêlent par momens des oiseaux qui n’ont jamais existé et des paysages qu’on n’a vus nulle part. Ces fantaisies sans signification plaisent à l’œil et n’exercent pas l’esprit. De temps en temps, sur un panneau plus vaste, une scène mythologique, peinte sans prétention et à grands traits, rappelle au maître quelque chef-d’œuvre de l’art antique, et l’en fait jouir par le souvenir. Quelquefois ce petit bourgeois est assez heureux pour posséder une habile imitation en bronze d’une de ces œuvres charmantes des artistes grecs qui font aujourd’hui la fortune du musée d’un souverain[1], un satyre qui danse, un athlète qui combat, un dieu, une déesse, un joueur de cithare, etc. ; il en sait le prix, il en comprend la beauté, il l’a placé sur un socle dans son atrium ou son péristyle pour le saluer du regard toutes les fois qu’il entre ou qu’il sort. C’était en somme une existence heureuse et large que celle de ces riches Pompéiens; ils savaient l’embellir de tous les agrémens du bien-être, la relever par les jouissances des arts, et je crois que beaucoup de personnages importans de nos plus grandes villes seraient tentés d’envier le sort des obscurs décurions de ce petit municipe.

Et les pauvres? — il devait y en avoir à Pompéi comme ailleurs. Un jour sans doute on découvrira les quartiers où ils demeuraient; jusqu’à présent on ne les a pas trouvés : les maisons les plus petites, les plus simplement décorées qu’on ait encore fouillées ne sont pas ce que nous appelons des maisons de pauvres. Peut-être quelques-uns d’entre eux habitaient-ils ces étages supérieurs avec terrasses (cœnacula cum pergulis), dont il est quelquefois parlé dans les écriteaux de location. Malheureusement on n’a conservé des maisons de Pompéi que le rez-de-chaussée ; les étages supérieurs ont presque partout disparu. En attendant qu’on arrive aux

  1. C’est de Pompéi et d’Herculanum, c’est-à-dire de deux petites villes sans importance, que viennent les beaux bronzes du musée de Naples qui font l’admiration des étrangers. Chez les bourgeois de nos villes de province, on ne trouverait rien de semblable. Il faut ajouter que ce qu’il y avait de plus beau à Pompéi n’y est pas resté. Nous savons que les habitans ont fait des fouilles après la catastrophe, et qu’ils sont venus enlever leurs objets les plus précieux. Nous n’avons donc aujourd’hui que ce qu’on n’a pas pu retrouver ou ce qu’on a négligé de prendre.