Page:Revue des Deux Mondes - 1878 - tome 29.djvu/723

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

role, en recommandant et en pratiquant une large conciliation, fait certes la propagande la plus intelligente et la plus fructueuse. S’il ne désarme pas toutes les dissidences, les passions irréconciliables, il rassure les indécis, il inspire la réflexion et la confiance à tous les esprits désintéressés qui mettent au-dessus de tout le bien public. Il montre qu’avec de la modération et de la tolérance, avec des institutions libres prudemment pratiquées, avec un gouvernement éclairé, tout est possible dans un pays comme la France, où la vitalité renaît en quelque sorte d’elle-même après les plus effroyables malheurs. M. de Freycinet, en parlant comme il n’a cessé de parler dans ses derniers voyages, en plantant partout pour ainsi dire ce drapeau de conciliation libérale, n’a pu assurément que rallier des adhésions et gagner des amis à la république. — À quoi peut conduire la politique opposée ou dissidente ? Le premier effet qu’elle produise est de raviver les craintes, de laisser entrevoir des crises nouvelles, un avenir de conflits, des représailles, des excès de domination, bientôt suivis d’inévitables réactions. M. Gambetta peut croire qu’il maintient l’union dans son parti et que c’est là l’essentiel ; il maintient peut-être pour le moment cette union, mais il la maintient en inquiétant les esprits modérés, en troublant ceux-là mêmes qui ne demanderaient pas mieux que de croire à son jugement. M. Gambetta n’a qu’à regarder autour de lui, à interroger froidement, impartialement, les impressions, les opinions ; il verra que ses menaces de guerre, ses paroles agressives sont aussitôt exploitées, quelquefois fort habilement exploitées, au détriment des institutions elles-mêmes, et qu’une politique comme celle de M. de Freycinet est tout ce qu’il y a de plus désagréable aux adversaires du régime nouveau. Il est douteux que l’orateur de la gauche fasse ainsi les affaires de la république, et ce n’est pas en parlant du bout des lèvres du ministère, en ayant l’air de le couvrir d’une protection temporaire jusqu’à une meilleure occasion, ce n’est pas avec ces procédés qu’il facilitera la marche d’un gouvernement sensé.

Que demandent à M. Gambetta les ennemis les plus acharnés de la république ? Ils lui demandent de ne pas s’arrêter, de pousser jusqu’au bout la guerre contre l’église, de ne pas trop tarder à renverser le ministère qu’il a devant lui ; ils lui demandent en un mot de déchaîner le plus tôt possible des crises nouvelles, afin que le pays ne se laisse pas tromper par une apparence prolongée de paix publique. Ce fait seul, il nous semble, devrait suffire pour l’éclairer. — Faudra-t-il donc, direz-vous, répondre par une banale conciliation à toutes les attaques et laisser notamment les influences de cléricalisme usurper de toutes parts, défier la société civile, essayer de dominer l’état, envahir l’instruction publique, l’administration, l’armée elle-même ? Il ne faut assurément rien de semblable, il ne faut ni tolérer les transgressions des lois ni