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n’étaient que cela aux yeux des croyans sans exception), mais qui sait les écraser de son mépris aussitôt qu’ils s’avisent de prétendre à quelque chose de plus que la tolérance.

Rien ne témoigne mieux de l’orgueil intraitable de ce grand seigneur envers les princes et les peuples de la chrétienté que la situation faite à Constantinople aux représentans des puissances européennes depuis le XVe jusqu’au XVIIIe siècle. Lorsqu’un ambassadeur débarquait sur les rives du Bosphore, l’accueil semblait d’abord marqué au coin de tous les raffinemens de l’hospitalité orientale. Un banquet lui était offert par les bassas (pachas, membres du divan); il recevait des présens, des habits splendides, et comme joyeuse entrée (per la buona entrata, selon l’expression des relations vénitiennes), la somme de dix mille aspres. Ce n’était du reste qu’une première avance, car la dignité de la Sublime-Porte ne souffrait pas que l’hôte du sultan eût la moindre dépense à faire durant sa mission ; il était bien entendu, il est vrai, que l’hôte apportait avec lui des cadeaux destinés à couvrir au centuple les frais de ce coûteux entretien. Les épreuves commençaient pour l’ambassadeur avec sa présentation solennelle au padichah. Avant d’être admis devant le seigneur des seigneurs et l’Ombre de Dieu sur la terre, il devait se laisser fouiller et bien prouver qu’il ne portait pas d’armes cachées; c’était en souvenir d’Amurad Ier , assassiné traîtreusement par un Serbe au moment où il baisait ses pieds. Après cette visite passablement injurieuse, le représentant était « plutôt traîné que conduit » par deux serviteurs de la Porte jusqu’au pied du trône où on le forçait de se mettre à genoux, de se prosterner même dans les grandes occasions, et de baiser la terre. Ceci se répétait à toutes les audiences accordées par le sultan. La déplaisante cérémonie accomplie, l’ambassadeur était encore heureux si au sortir du palais il n’était pas hué et injurié par la foule, procédés pour lesquels il n’y avait pas de satisfaction à demander. « En sortant de la Porte, écrit ingénument (en 1534) l’envoyé de Ferdinand Ier, Duplicius Schepper (quel prénom pour un diplomate !), nous fûmes moi et les miens violemment bousculés par les janissaires et reçus par des vociférations sauvages et rauques, par des huées et des menaces. On criait : Spagnia! Spagnia ! on faisait des gestes de mort, on hurlait comme des chiens, et les tchaouch (gardes d’honneur) qui nous accompagnaient ne faisaient rien pour réprimer cette insolence barbare. Il fallut donc supporter cela en patience, ne pouvant faire autrement[1]. »

Non moins pénibles et mortifians étaient les rapports avec les bassas. Le frère et le successeur de l’évêque d’Acqs à l’ambassade

  1. Gevay, Urkunden und Actenst., t I, p. 45.