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une jeune fille, accompagnée d’une enfant de quatre ans, qui se rend chaque jour au temple. On la nomme Miosan : sa petite compagne s’appelle Koyosi. Sakitsi n’a pas encore pu lui exprimer son amour lorsqu’un beau jour elle disparait.

Pour mieux nous renseigner sur le compte de Miosan, il faut pénétrer dans le modeste intérieur d’un porteur de kango nommé Tofei. Il a jadis servi le prince Teidafu, dont il a eu le malheur de séduire la belle-sœur Kanayo. Il l’a enlevée, emmenée dans sa chaumière auprès de sa vieille mère aveugle, Kutsiwa, et de leurs amours est née une fille, la petite Koyosi. La femme de Teidafu, abandonnée par son mari et gênée pour élever sa fille Miosan, avait eu l’idée de l’envoyer chez sa jeune sœur, dont la retraite ne lui était pas inconnue. La tante reçoit sa nièce avec tendresse, mais malheureusement elle n’a d’autres richesses à lui prodiguer que celles du cœur. La pauvreté s’est assise au foyer de Tofei; il a beau travailler jusqu’à briser son corps de fatigue, il n’arrive pas à gagner ce qu’il faut de riz pour nourrir sa famille. Aussi Miosan ne veut pas rester plus longtemps à sa charge. C’est pour mendier quelques menues pièces de monnaie qu’elle se rend chaque jour au temple; mais ces aumônes ne suffisent pas à faire vivre les siens, il faut plus, il faut qu’elle fasse le sacrifice de sa personne. Un pourvoyeur de la ville de Kamakura lui a fait des propositions qu’elle accepte. Un jour elle quitte la maison, en disant à la vieille Kutsiwa et à la petite Koyosi qu’elle est appelée à l’honneur de servir un puissant seigneur ; elle laisse enfermés dans un jouet les 100 rios, pris du funeste marché qu’elle a conclu, et une lettre où elle explique sa conduite. « Qu’est-ce qu’un pinceau peut dire et laisser sur le papier? Vous avouerai-je, cher époux, que je vous trompais en vous disant que j’allais chaque jour adorer Kwanon-sam a, accompagnée de Koyosi. La vérité est que là je demandais l’aumône, et au retour je prétendais que l’argent ainsi récolté m’était envoyé par mes parens. Faible secours sans doute, mais qui a soulagé quelque temps votre infortune. A la fin, désespérant de voir jamais l’aisance s’établir chez vous et pressentant que vos peines et vos misères iraient toujours en augmentant, je me suis vendue pour 100 rios. Avec cet argent, vous pourrez entreprendre un petit commerce et soigner en même temps Kutsiwa. S’il vous arrivait dans la suite de faire quelque profit, veuillez, je vous prie, envoyer à Kamakura votre superflu, afin que, s’il est possible, mon père renonce à l’existence peu enviable de chevalier errant. »

Ce n’est pas sans peine qu’on persuade à Tofei d’accepter cet argent et de respecter ce marché, que rien ne peut plus rompre. Il se décide enfin à transporter ses pénates à Naniwa en Setziu ; là nous