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mal, c’est à toi qu’il faut t’en prendre, à toi qui l’as placée de travers. » Le mal dont se plaignent les hommes, c’est eux qui en sont les auteurs.

Un lettré, aussi plein de convoitise que bourré de science, rencontra un génie bienfaisant, qui mit à sa disposition, pour secourir sa faim, 4,000 sacs de riz. C’était trop pour un autre, ce n’était pas assez pour cet homme cupide, qui demanda en outre un magasin pour les enfermer. Tout en blâmant l’excès de ses désirs, le génie consent. Mais après le magasin, il faut un palais; après le palais, des caisses d’or et de vêtemens, et quand enfin l’insatiable solliciteur possède toutes ces choses, il réclame encore une dernière complaisance : « Ce qui surpasserait toutes vos faveurs c’est si, coupant votre auguste doigt, vous me le donniez ! » Alors ce génie, ne pouvant plus supporter tant d’insolence, fut sur le point de le faire périr aussitôt. La vie de l’homme a des limites ; si on la met au service des désirs, qui n’en ont pas, viendra-t-il, dans toute la durée de l’existence, un jour où l’on pourra goûter la tranquillité?

Entre les mains d’un bon médecin, les poisons deviennent des remèdes. Un jeune homme jusque-là rangé avait été attiré par quelques débauchés dans une partie de plaisir. Au moment de payer l’écot, ceux-ci songèrent qu’en voyant sa part monter si haut, il se dégoûterait dès le début d’un tel genre de vie ; ils payèrent donc à sa place et lui firent présenter une note du dixième de la dépense réelle. En voyant cette somme minime, l’honnête jeune homme fit venir tous ses serviteurs et leur dit : Hier je me suis laissé entraîner dans une orgie, voyez le peu qu’elle coûte. Si la foule des bouffons et des danseurs, en se mettant tout en nage, n’a pu gagner que cette faible somme, c’est une preuve que rien n’est plus difficile à acquérir que l’argent. Appliquons-nous donc à en gagner par le travail et à éviter les dépenses superflues. « Lorsqu’on marche dans la voie du bien, le mal ne peut venir jusqu’à vous. »

Comme contre-partie, l’apologue suivant nous montre qu’entre les mains d’un charlatan les meilleurs remèdes deviennent des poisons. C’est l’histoire d’un jeune prodigue à qui l’on donne le conseil de placer dans une tirelire tout ce qu’il pourra rogner sur chaque dépense. Il adopte ce procédé avec tant d’enthousiasme et prend tant de plaisir à voir grossir sa tirelire qu’il se ruine pour avoir plus d’occasions d’économies. Moralité : « S’il n’est pas dans une terre convenable, l’arbre le mieux cultivé ne croîtra pas. Les paroles les plus sages seront perdues, si on les adresse à un homme mal disposé à les entendre. » Citons enfin, non sans repousser toute solidarité avec notre auteur, l’aphorisme caractéristique qui clôt le recueil et résume le principal chapitre de la morale japonaise :