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adverse, les fanatiques se désolaient de la brèche ouverte dans les vieilles institutions ecclésiastiques du pays. Toute idée nouvelle leur semblait un piège tendu par les ultramontains. Les modérés, craignaient que le parti nouveau fût dominé par les adeptes des sociétés secrètes. Les home rulers n’avaient rien de mieux à faire que de prouver par des choix judicieux, dans les élections partielles, leur ferme intention de résister à toutes les tendances exclusives. Ils furent habiles à ce point de vue. C’était tantôt un catholique, tantôt un protestant qu’ils recommandaient aux suffrages de leurs concitoyens. The O’Donoghue, l’un des adversaires du fenianisme, se prononça contre eux : il y perdit sa popularité. Quelques hommes d’un vrai mérite se rallièrent au nouveau parti dont la puissance s’affirmait chaque jour. Parmi ces recrues des premiers jours, il y eut un homme, Isaac Butt, qui ne tarda pas à prendre la première place par son talent et par la loyauté de son caractère. Alors âgé de cinquante-cinq ans, Isaac Butt était fils d’un pasteur protestant et avait été élevé au collège de la Trinité de Dublin, la citadelle de l’intolérance protestante. Avocat encore obscur, il avait lutté contre O’Connell, qui, dans ce jeune adversaire, avait discerné un zélé partisan des Libertés irlandaises. « Il sera un jour du côté du peuple, » avait dit le tribun à ses amis. En dépit de ce pronostic, les conservateurs lui avaient confié le mandat de député. Les procès politiques le ramenèrent du parlement de Londres au barreau de Dublin. Il y conquit bien vite un tel renom d’éloquence, il s’y montra si sympathique aux malheureux qui étaient victimes des sévérités du pouvoir, que les fenians eux-mêmes lui confièrent leur défense. Ces procès politiques, qui se continuèrent des années durant, lui suggérèrent une pensée chevaleresque. Il résolut de consacrer le reste de sa vie à la réconciliation de l’Angleterre et de l’Irlande. Sans plus donner raison au gouvernement anglais dont il blâmait la politique passée qu’aux mécontens qui avaient prétendu le renverser, il se proposa d’obtenir pour ses compatriotes unis, sans distinction de classe ou de croyance, un régime de paix et d’équité qui ne fût pas incompatible avec les principes de la constitution britannique. Le programme du home rule était précisément ce qu’il voulait faire triompher.

Ce parti, qui répondait si bien aux idées du moment, n’avait qu’un petit nombre de représentans au parlement ; à peine même était-il organisé dans le pays lorsque survint tout à coup au mois de février 1874 la dissolution de la chambre des communes. On s’y attendait si peu que personne n’était préparé pour la lutte électorale. En pareille circonstance, l’imprévu profite aux députés sortans. Les home rulers n’avaient même pas de candidats pour