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afin d’en déduire le bien ; par réaction, Épicure cherchera le bien pour nous avant le vrai en soi… Ce qui frappe tout d’abord chez lui, c’est le caractère pratique, positif de sa doctrine. Aristote avait dit : « La science est d’autant plus haute qu’elle est moins utile. » Épicure prendra juste le contre-pied de cette maxime. On sent qu’en se donnant à la philosophie, il s’est demandé d’abord : « À quoi sert-elle ?… » Le premier problème qu’Épicure a dû se poser, c’est le problème pratique par excellence : « Que faire ? quel est le but de nos actions, la fin de la vie ? Son plus important ouvrage est son traité Περὶ τέλους. » Ce caractère utilitaire, justement signalé par M. Guyau, est profondément empreint dans toutes les parties de cette philosophie et spécialement dans la controverse célèbre sur la mort. Ce que les épicuriens essaient de faire pénétrer dans les esprits, c’est la démonstration de leur doctrine par l’utilité, c’est la conviction qu’une des sources de la misère humaine est la peur de l’au-delà et que, si l’on détruit cet au-delà, on affranchit l’homme, on le rétablit dans les conditions normales du bonheur auquel il a droit et dont le dépossède la crainte des chimères. Voilà le trait essentiel de leur polémique.

Essayons de distinguer les différentes parties de cette argumentation et de voir à quel ordre de conceptions ou de préjugés répondaient les principaux raisonnemens d’Épicure et de ses disciples, dont il est difficile d’ailleurs et inutile de faire la part exacte et de marquer l’œuvre personnelle dans l’œuvre commune. — Et d’abord il ne faut pas qu’on s’attende à trouver là rien qui ressemble à ce que l’on a nommé, trop ambitieusement peut-être, la théorie épicurienne de la mort. Des termes pareils me paraissent manquer de justesse. Il ne peut être question que d’une critique plus ou moins ingénieuse et profonde, dirigée contre les idées religieuses ou populaires du temps et concluant à des négations pures. Or une série de négations est la ruine des théories existantes, elle ne constitue pas, à proprement parler, une théorie.

Les épicuriens se trouvaient en face de deux conceptions distinctes sur la mort, celle des religions nationales d’Athènes et de Rome qui pesaient de tout leur poids sur les imaginations populaires, et une autre conception plus vague, plus obscure, par là même plus tenace et qui prenait dans les esprits la forme d’un instinct plutôt que celle d’une croyance définie. Ils eurent facilement raison de la première, difficilement de la seconde, et même s’ils en parurent un instant victorieux, leur victoire ne dura pas ; l’instinct eut bientôt repris le dessus. En revanche, le triomphe qu’ils remportèrent sur le dogme de la vie future tel que le présentaient les prêtres ou que les poètes le peignaient aux esprits, ce triomphe fut à peu près définitif. Il est vrai que les épicuriens trouvèrent