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ses sympathies se partageaient entre toutes les alliances. Ce n’est pas qu’elle perdît un seul instant le sentiment de ses devoirs ni qu’elle négligeât d’interpréter ses instructions avec la plus scrupuleuse loyauté, mais elle était dévoyée, et en ce qui touchait la politique générale elle se trouvait livrée la plupart du temps à ses propres inspirations. D’ailleurs l’empereur n’avait aucun penchant pour elle; il s’en méfiait, car il savait qu’en dehors de la petite école qui se groupait autour du Palais-Royal, elle n’éprouvait pour les déviations de notre politique qu’une admiration réservée et qu’elle déplorait l’intervention dans nos affaires de personnages étrangers, équivoques et parfois subalternes. Ses préventions dataient de loin. Déjà en 1854 il les manifestait dans ses épanchemens avec le prince Albert. Il ne lui cachait pas le peu de confiance que lui inspirait « la capacité politique » de ses agens. — « Je ne lis pas les dépêches, lui disait-il, je me contente d’extraits, » et il ajoutait qu’il trouvait une compensation suffisante à ne pas suivre la correspondance diplomatique dans les rapports particuliers que lui adressaient de chaque poste important des hommes de confiance.

Une étude d’un intérêt saisissant, récemment publiée par la Revue[1], nous fait voir l’étrange spectacle d’un souverain de droit divin se livrant au plaisir de la diplomatie occulte, se cachant de ses conseillers officiels et poursuivant par-dessus leur tête des projets chimériques; mais, surpris dans ses menées secrètes par un ministre vigilant, soucieux de ses prérogatives, le souverain fit amende honorable devant la raison d’état et poussa la sincérité de son repentir jusqu’à sacrifier ceux qui l’avaient servi. — Il est arrivé à l’empereur Napoléon III comme à Louis XV de poursuivre des projets chimériques, et de s’engager, à l’insu de ses conseils, dans des pourparlers mystérieux, mais il ne s’est trouvé dans ses entours personne d’assez autorisé, d’assez vaillant pour l’arracher à ses rêves et le ramener aux réalités de la politique française.

Du reste, dans ces tristes jours de l’été 1866, tous les esprits étaient défaillans, et rien n’était plus aisé que de nous surprendre, d’éveiller des craintes ou d’entretenir des illusions, de nous faire reculer ou de nous inciter à de compromettantes démarches. L’habileté de M. de Goltz fut à la hauteur de cette tâche. La jalousie que lui inspirait son ministre et le secret désir de le supplanter ne firent qu’exalter son patriotisme. Longtemps il avait cherché à contrecarrer ses desseins, mais, les événemens une fois engagés, ce fut lui qui porta les coups décisifs. La Prusse ne saurait oublier son nom, il est inséparable de nos malheurs.

Toutefois en cette circonstance son habileté s’était dépensée en pure perte. M. Rouher avait bien voulu, une première fois, appuyer

  1. Le Chevalier d’Éon, par M. le duc de Broglie, dans la Revue du 1er octobre 1878.