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L’ambassadeur se trouvait cette fois d’accord avec son ministre. Il était d’avis qu’en présence des agrandissemens excessifs de la Prusse, un remaniement territorial était indispensable à notre sécurité. Il sentait que c’en était fait du prestige de l’empire si nous ne pouvions obtenir le redressement de nos frontières de l’est, et, interrogé par M. Drouyn de Lhuys sur l’opportunité et les chances d’une pareille demande, il se plaisait à en espérer le succès sans le garantir toutefois. Il rappelait les répugnances du roi Guillaume à céder du territoire allemand, et ajoutait que pour réussir à les vaincre il importait d’être en mesure « d’exiger, de tenir un langage ferme et d’avoir une attitude résolue[1]. »

M. de Bismarck ne déclina pas la discussion, il n’était pas encore entièrement maître de ses mouvemens : les préliminaires étaient signés, mais ils n’étaient pas ratifiés. Il reconnut qu’il était juste et convenable de nous accorder quelque chose ; il admettait l’équité du principe des compensations et il allait même « jusqu’à échanger des idées sur les moyens d’en réaliser l’application pratique[2]. » Mais lorsque M. Benedetti parla des pays situés entre la Moselle et le Rhin, il se retrancha catégoriquement derrière la répugnance du roi à céder une portion quelconque du territoire prussien. S’il ne repoussa pas l’idée de nous procurer des compensations dans le Palatinat, il nous proposa franchement la Belgique, « s’offrant à nous entendre avec lui. » C’était la combinaison favorite de cet homme d’état, celle qu’il préconisait déjà à Paris et à Biarritz, et à laquelle il revenait sans cesse. Il allait même, dans ses heures d’expansion, jusqu’à guider notre inexpérience en matière d’annexion, en nous exposant les procédés dont il s’était servi lui-même pour s’assurer la conquête des duchés de l’Elbe. « Votre situation est bien simple, disait-il à M. Lefèvre de Béhaine ; vous n’avez qu’à dire au roi des Belges que les inévitables agrandissemens de la Prusse vous paraissent inquiétans ; qu’il n’y a guère qu’un moyen de parer à des éventualités dangereuses, et de rétablir l’équilibre dans des conditions convenables pour l’Europe et pour votre propre sécurité. Ce moyen, c’est d’unir les destinées de la Belgique à celles de la France par des liens si étroits que cette monarchie, dont l’autonomie serait d’ailleurs respectée, deviendrait au nord le véritable boulevard de la France, rentrée dans l’exercice de ses droits naturels[3]. »

S’il répugnait au roi Guillaume de céder du territoire prussien, il ne répugnait pas moins à l’empereur de recourir à des procédés

  1. Benedetti, Ma Mission en Prusse.
  2. Lettre de M. Drouyn de Lhuys au comte de Goltz. — Papiers des Tuileries.
  3. Dépêche de M. de Gramont, juillet 1870 (extrait de la correspondance de M. Lefèvre de Béhaine).