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correspondance déposée et enregistrée au ministère des affaires étrangères, M. de Bismarck a oublié le premier devoir du vainqueur, la grandeur d’âme. Il tenait la vengeance sous la main. Il croyait n’avoir qu’à puiser dans les caisses de M. Rouher pour nous accabler; il y puisa sans relire, et en tout cas sans méditer les pièces qui devaient confondre son adversaire et stigmatiser la France; mais l’arme dont il s’est servi s’est retournée contre lui; dans sa précipitation, il ne s’est pas aperçu que parmi les documens livrés au Staatsanzeiger il s’en trouvait qui le mettaient en contradiction flagrante avec ses assertions. M. Benedetti, qui ignorait la soustraction, opérée à Cercey, de la correspondance qu’il avait échangée avec le ministre d’état après la démission du ministre des affaires étrangères, avait évité de s’expliquer sur les négociations dont la Belgique avait fait l’objet. Il s’était borné à opposer aux réquisitoires que, sous forme de circulaires, M. de Bismarck avait dirigés en 1870 contre la politique impériale dont il dénonçait les convoitises, des dépêches et des lettres d’où il ressortait que l’initiative des pourparlers revenait tout entière à la Prusse, et que le projet de traité avait été communiqué au mois d’avril 1860, et non en 1867, comme on l’affirmait. Les papiers de Cercey, loin de contredire les affirmations de M. Benedetti, n’ont servi qu’à les confirmer. Il suffit de comparer les instructions françaises du 16 août, publiées par le moniteur prussien, pour voir qu’elles concordent en tout point avec le texte et l’esprit du projet de convention communiqué à la Prusse en 1866.

M. de Bismarck avait un intérêt évident à postdater le traité. Il était essentiel pour lui de le reporter à 1867, car il avait à cœur de démontrer à l’Europe et plus particulièrement à l’Angleterre que même après l’affaire du Luxembourg le gouvernement de l’empereur persistait à se leurrer d’illusions et à poursuivre des revendications territoriales avec une obstination qu’aucun mécompte ne devait lasser. Il n’a pas craint d’ailleurs de faire ressortir, avec sa franchise habituelle, la moralité de cette interversion. Il a dit, pour justifier ses circulaires de 1870, qu’au début de la guerre il lui importait avant tout de se concilier les sympathies des autres puissances, dont l’attitude bienveillante était pour les deux belligérans de la plus haute importance. Cette tactique n’a que trop réussi. Tout le monde, en 1870, était convaincu, en face de la circulaire prussienne, illustrée par l’autographe de M. Benedetti, que le gouvernement de l’empereur n’avait pas cessé de harceler