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Sa sincérité, je l’ai dit, se régla d’après les circonstances, sans parti pris à l’avance de nous tromper. Elle eut plusieurs phases à parcourir avant de sombrer. Absolue et forcée à Biarritz, elle était encore obligatoire à la veille de Sadowa. Elle ne s’altéra qu’avec le succès. Déjà à Zwittau elle n’était plus que relative et intermittente, à Nikolsbourg elle devint équivoque, et à Berlin elle subit un complet naufrage.

La négociation traîna plusieurs jours. Le traité, amendé sur les instances du président du conseil, fut renvoyé à Paris. L’empereur et ses ministres le discutèrent avec M. de Goltz; il fut modifié en plusieurs points. La confiance dans le succès était encore si grande qu’on demandait pour le roi de Hollande du territoire prussien en échange du Luxembourg. On voulait bien renoncer à Landau et à Saarbrück, mais on se plaisait à ne pas douter que la Prusse ne fit acte de courtoisie, en enlevant à ces deux places, par le démantèlement, tout caractère agressif. On demandait enfin, pour consolider la souveraineté des états du midi, qu’on leur réservât exclusivement la garde de leurs places fortes respectives, que déjà, par leurs traités d’alliances, ils avaient livrées à la Prusse.

Cependant les renseignemens qui arrivaient de Saint-Pétersbourg n’étaient pas tranquillisans. Ils confirmaient les appréhensions que le départ subit de M. de Manteuffel avait inspirées à M. Benedetti. Le baron de Talleyrand n’était pas certain que la mission de ce général-diplomate eût réellement pour unique objet, comme ne cessait de l’affirmer M. de Bismarck, de rassurer le gouvernement russe sur les agrandissemens de la Prusse et les tendances de sa politique, ni que les explications qu’il était chargé de fournir à l’empereur Alexandre ne se rapportassent qu’au congrès et au sort réservé à quelques souverains allemands, apparentés avec la famille impériale. M. de Talleyrand parlait des plaintes qu’on lui faisait entendre depuis l’apparition de l’envoyé prussien, au sujet de l’isolement auquel la Russie s’était vue condamner, pendant le cours des derniers événemens, et il n’augurait rien de bon de ces récriminations. Mais ce qui le frappait surtout, c’était l’intention hautement manifestée par le vice-chancelier de se renfermer désormais, après tant de mécomptes, dans une politique exclusivement russe. — « J’ai beau consulter, disait-il à notre ambassadeur, le bilan de nos rapports avec le cabinet des Tuileries, le nom de la France ne se retrouve nulle part, tandis qu’à chaque colonne, je vois figurer à l’actif le nom de la Russie. » Le prince Gortchakof prenait sa revanche. Il nous donnait à comprendre qu’il était édifié sur la nature de nos pourparlers avec la Prusse, et il nous signifiait à mots couverts que nous n’aurions plus lieu de compter désormais