Page:Revue des Deux Mondes - 1878 - tome 30.djvu/194

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

celui de cinq ou six de nos départemens frontières, est à ce prix.

La question est plus complexe qu’elle n’a paru aux auteurs de la loi de 1860; il ne s’agit pas seulement de simples travaux de reboisement, mais d’un ensemble de mesures qui devront amener la transformation de l’économie rurale de toute la région. Il faut que les pâturages, reconstitués et convenablement aménagés, soient relégués sur les sommets des montagnes, là où la végétation arbustive fait place aux innombrables graminées de la flore alpestre ; que les forêts, rétablies sur les pentes aujourd’hui dénudées, maintiennent les terres et protègent contre les dévastations des torrens les vallées livrées à la culture ; que des canaux d’irrigation viennent quintupler le rendement des prairies et permettre de nourrir un bétail nombreux et choisi, mais ce n’est pas avec des demi-mesures qu’on obtiendra ce résultat. Lorsque les ducs d’Athol et de Sutherland ont voulu, au commencement de ce siècle, mettre en valeur les montagnes de l’Ecosse, ils ont commencé par faire bâtir au bord de la mer des villages où les habitans de l’intérieur sont venus chercher un asile lorsque, privés de leurs troupeaux, il leur fut impossible de continuer à vivre dans la montagne. Cela fait, et n’ayant plus à lutter contre la vaine pâture, ils ont reboisé les sommets, défriché les bruyères, ouvert des routes, jeté des ponts sur les torrens, si bien qu’au bout de quelques années les villages étaient devenus des ports de pêche florissans, les terres du voisinage étaient en pleine culture, et la prospérité avait remplacé la misère d’autrefois. Nous ne demandons pas qu’on chasse de leurs foyers les populations des Alpes, mais seulement que, par crainte de léser quelques intérêts particuliers, on ne laisse pas se transformer en désert une région qui pourrait être une des plus belles et des plus fertiles de la France.

La loi de 1860 est insuffisante. Elle a été préparée, sans étude préalable, par des hommes ne connaissant ni les montagnes, ni les populations qui les habitent, ignorant l’étendue réelle des terrains auxquels elle devait s’appliquer, ne se doutant pas des difficultés à vaincre, et plus préoccupés d’augmenter la popularité du gouvernement impérial par la distribution de subventions que d’arriver à un résultat sérieux par l’exécution d’une œuvre réellement utile. Ce calcul a été un peu déjoué par la droiture et le zèle des agens forestiers et par la vive impulsion qu’un de leurs directeurs généraux, M. Vicaire, a donnée à leurs travaux. Il n’en est pas moins certain que cette loi est absolument vicieuse, d’une part, parce qu’elle admet le principe des reboisemens facultatifs qui ne peut aboutir à rien ; d’autre part, parce qu’elle omet de réglementer le pâturage, qui est la cause première de la ruine des montagnes. Nous n’hésitons pas à demander qu’elle soit entièrement remaniée.