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de tout point le contraire du libéralisme. Le libéralisme s’occupe avant tout de circonscrire les pouvoirs de l’état, de limiter sa compétence et de lui représenter qu’il usurpe quand il entreprend sur les libertés particulières, plus précieuses encore que la liberté générale. La démocratie autoritaire envisage les libertés particulières comme un luxe inutile dans un pays démocratique ; elles peuvent avoir leur prix pour les nations qui n’ont pas la faculté d’élire le chef suprême de leur gouvernement ; mais partout où le peuple commande, elles doivent abdiquer devant son autorité souveraine. Le libéralisme estime que c’est un bonheur pour un gouvernement de n’être pas omnipotent, qu’il y va de son intérêt de ne pouvoir violer ou éluder une loi sans se heurter contre des résistances légales. La démocratie autoritaire a pour principe que toute résistance est une rébellion, que tout opposant est un factieux. Le libéralisme croit qu’un gouvernement doit mettre son honneur à protéger les droits des minorités contre les usurpations ou les fantaisies du souverain. La démocratie autoritaire ne reconnaît aux minorités que le droit de se démettre ou de se soumettre. Son idéal est une société où la magistrature, amovible et docile, est dans l’entière dépendance du pouvoir exécutif, où les prérogatives municipales sont sévèrement limitées, où les maires peuvent être révoqués et cassés sans façon au nom du peuple. Dans une telle société, le peuple ressemble à un boyard faisant gouverner ses serfs par des intendans munis d’une autorité discrétionnaire ; les serfs sont les minorités. Rien n’est plus tyrannique que la tyrannie des intendans, rien n’est plus insolent que leur insolence. « Le peuple élit un gouvernement, lisons-nous dans une des intéressantes brochures par lesquelles les libéraux genevois ont combattu le projet de révision, et aussitôt celui-ci nommé il s’installe sur ses sièges et dit au peuple : Peuple, tu as bien élu, c’est du reste la seule chose que tu sois capable de faire, et encore faut-il te diriger; maintenant tu n’as plus qu’à te tenir coi et à l’occuper de tes petites affaires. Surtout sache bien que tu nous as délégué tous tes pouvoirs, que nous pouvons faire tout ce que nous voulons, que ceux qui jugeront nos actes et qui ne les approuveront pas seront des suspects, des rebelles même. Ne t’occupe donc pas trop de politique, lis le journal officiel et tiens-toi tranquille jusqu’à la prochaine élection, on te dira alors ce que tu auras à faire. » Un tel gouvernement est bien connu, il a son histoire. Il s’est appelé César, c’est un beau nom, qui a le privilège de faire tressaillir la terre. Il a quelquefois du sang corse dans les veines ; alors il s’appelle Napoléon, et on pense à Austerlitz. Quelquefois aussi il est le président d’une république démocratique et il se nomme Carteret. C’est un triste marché que d’avoir le césarisme sans avoir César ; si funeste que soit César, la pourpre, les trompettes et le génie consolent un peuple de bien de choses.