Page:Revue des Deux Mondes - 1878 - tome 30.djvu/230

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

enfin arrivé. » Les préoccupations doctrinales tiennent une place considérable dans le système administratif de M. Carteret; de tous les hommes d’état que possède la Suisse, c’est assurément le plus dogmatique, le plus convaincu que la mission des gouvernemens est de catéchiser les peuples. Ce conseiller est doublé d’un bonze ; ce politique a la complexion, les allures, les attitudes d’un évêque. Son sceptre, grâce à Dieu, n’est pas un sabre, c’est un bâton pastoral.

Il va la mitre en tête et la crosse à la main.


Les sabres sont plus dangereux, on peut s’en servir pour abattre des têtes; mais les crosses sont bien pesantes. Si elles ne coupent pas, elles meurtrissent, et par le temps qui court, le canton de Genève est plein de gens qui se plaignent d’être blessés à l’épaule.

On sait comment se sont réveillées les luttes religieuses dans un pays qui depuis de longues années en était désaccoutumé. Un empiétement de la curie romaine sur le pouvoir civil a causé tout le mal, en excitant dans toutes les têtes une vive effervescence. On ne s’est pas contenté de se défendre, on s’est fâché; aux intrigues d’un prêtre ambitieux, brouillon et né malin, on a répondu par des brutalités. Le papisme n’a pas été mis hors la loi, mais on l’a mis hors du budget et hors des églises, et il s’est vu supplanter par le vieux catholicisme ou le catholicisme libéral, qui est désormais à Genève le seul catholicisme reconnu et salarié par l’état. M. Carteret et ses amis ont prodigué au catholicisme libéral les attentions les plus tendres, les faveurs les plus insignes; il n’avait qu’à demander pour recevoir, on lui donnait même plus qu’il ne demandait. Que n’a-t-on pas fait pour acclimater cette plante exotique, qui promettait d’élever un jour jusqu’au ciel ses ombrages victorieux? Hélas ! elle a trompé l’attente publique. En vain a-t-on fait pleuvoir sur elle toutes les rosées du ciel, en vain a-t-on multiplié l’engrais. Soit que le jardinier eût la main lourde et ne sût pas s’y prendre, soit que la plante fût mal née ou qu’elle eût été piquée à la racine par un ver funeste, malgré toutes les peines qu’on s’est imposées l’arbre n’a pas prospéré; on a vu son tronc s’étioler, ses feuilles jaunir et tomber. Il ressemble aujourd’hui à l’un de ces vieux saules qu’on rencontre au bord des rivières et qui n’ont plus que quelques branches gourmandes et une écorce grise ; cette écorce sonne creux, il n’y a rien dessous. Il s’est trouvé que nombre des curés libéraux qu’on avait fait venir de tous les coins du monde étaient honnêtement médiocres, tandis que d’autres n’étaient pas même médiocrement honnêtes; il s’est trouvé aussi que les populations sont demeurées sourdes aux appels, aux objurgations de M. Carteret et de ses gendarmes, qu’elles se sont refusées à reconnaître en lui leur vrai berger; il s’est