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presque tout le monde est désireux d’en sortir. Le successeur de Pie IX est un sage, il ne juge pas que tout abîmer plutôt soit l’esprit de l’église; les gens sensés pensent qu’il faut tâcher de s’entendre avec lui, qu’une entente est toujours possible quand on n’a pas affaire à un mystique, et depuis que Léon XIII occupe le trône pontifical, ils s’appliquent à découvrir les termes d’une transaction. Le système de M. Carteret est de forcer les gens à être libres, et en vertu de ce principe il a condamné les catholiques genevois à élire malgré eux leurs curés. Quand le grand-conseil discutait le projet de révision, un membre de la minorité de cette assemblée, M. Chenevière, libéral d’un esprit à la fois mesuré et délié, proposa d’admettre qu’une paroisse catholique-romaine, qui aurait élu son curé conformément à la loi, serait libre de se rattacher à un évêché suisse orthodoxe, au lieu d’être mise dans l’alternative ou de ne pouvoir exister légalement dans le canton, ou de se donner un évêque libéral. L’idée dont M. Chenevière s’est fait l’éloquent avocat a été quelques jours plus tard adoptée à l’unanimité par le grand-conseil du canton de Berne; toutes les confessions et tous les partis s’y sont ralliés. Dans le Jura bernois, les ultramontains, avec l’autorisation du pape, élisent leurs curés selon la loi, les choisissent selon leur cœur; l’état les reconnaît, les laisse libres à leur tour de choisir leur évêque, et on peut espérer que la paix religieuse sera prochainement rétablie dans le plus important canton de la Suisse.

M. Carteret n’était pas homme à se prêter à une telle transaction; il est tout d’une pièce, et ses principes ne capitulent jamais. La loi constitutionnelle que le peuple genevois a rejetée le 6 octobre confiait l’administration de l’église catholique à un conseil supérieur composé de vingt-cinq membres laïques et de six curés en fonction, et ce conseil était nanti d’un pouvoir presque absolu sur toutes les affaires ecclésiastiques. En même temps on établissait que « les paroisses catholiques du canton de Genève font partie du diocèse catholique chrétien de la Suisse, et sont placées dans la limite des lois genevoises sous les autorités constitutionnelles de ce diocèse. » Est-il nécessaire d’ajouter que par diocèse catholique chrétien on entend le diocèse catholique libéral? M. Carteret a pris sur lui de distinguer les catholiques qui sont chrétiens de ceux qui ne le sont pas; sa compétence en ces matières est illimitée et souveraine. Le gouvernement-peuple a des entretiens avec le Saint-Esprit, qui lui révèle les divins mystères ; la grâce céleste est en lui, il a de soudaines illuminations, et il impose ses oracles aux consciences. On raconte qu’un soir Cromwell faisait une partie fine avec Ireton, Fletwood et Saint-Jean, c’est-à-dire avec son Caucus. On voulut déboucher une bouteille, le tire-bouchon tomba sous la table; on le cherchait, on ne le trouvait pas. Cependant les députés des églises presbytériennes attendaient dans l’antichambre qu’on leur