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éclatant, ce sont les manifestations vitales qui usent la matière organique, qui en provoquent la mort cachée et nécessaire; ce sont la contraction musculaire, l’impression sensible, la détermination volontaire, la sécrétion glandulaire, la pensée. Or ces grandes manifestations de la vie ne sont pas identiques à la mort, à la destruction lente de nos tissus; elles en sont l’occasion, mais on ne peut les confondre avec elle. Partout et toujours les phénomènes d’ordre vital suscitent au-dessous d’eux des phénomènes d’ordre physique, mais ils n’en procèdent pas, et ne trouvent en eux ni leur cause, ni leur nature.

De ces deux études, celle de la création et celle de la destruction organique, Claude Bernard commence par la dernière, parce que, dit-il, les phénomènes de destruction vitale se montrent dès l’origine de l’être, et débutent avec l’apparition de la vie. Cette assertion est-elle bien juste? La création vitale n’est-elle pas nécessaire pour que la destruction organique apparaisse, et par conséquent n’est-elle pas antérieure à celle-ci? Pour qu’un organe, si élémentaire qu’il soit, manifeste son action, et pour que parallèlement il se détruise par une usure cachée, ne faut-il pas qu’il existe au préalable, et soit créé dans le tout vivant? La synthèse organique est le fait primordial ; la vie précède la mort.

Quoi qu’il en soit, Claude Bernard réduit à la fermentation toutes les actions de destruction organique. La fermentation serait le procédé chimique général dans les êtres vivans, et même il leur serait spécial, puisqu’il n’apparaît pas en dehors d’eux. La fermentation caractériserait la chimie vivante, et la putréfaction serait le mode commun de cette fermentation. Claude Bernard adopterait ainsi la formule de Mitscherlich : la vie n’est qu’une pourriture. Il ne faudrait pas accepter à la lettre ces paroles absolues. Quand même la fermentation et la pourriture constitueraient les modes généraux de la destruction organique, la vie resterait bien au-dessus, non-seulement dans ses actes de création et de synthèse organique, mais encore dans toutes ses manifestations propres de contractilité, de sensibilité, de volonté, de pensée. Ces termes, en outre, de fermentation et de putréfaction ne sont pas sans donner lieu à bien des ambiguïtés. Il y a deux sortes de fermentations, comme il y a deux sortes de fermens, les fermens solubles et les figurés. Il faut séparer ces deux espèces de fermentation. La fermentation qui opère la mort lente et incessante des tissus vivans en action est la fermentation dite catalytique, c’est-à-dire constituée par une action de présence encore mystérieuse, que la science constate sans pouvoir l’expliquer. Cette fermentation par catalyse ou par fermens solubles ne saurait s’appeler putréfaction ou pourriture. La vraie fermentation putride s’opère par la présence et la multiplication