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Claude Bernard affirme à maintes reprises que l’être vivant n’est doué d’aucune spontanéité. Il n’y a pas de spontanéité dans les phénomènes physico-chimiques; et comme dans l’être vivant tous les phénomènes s’accomplissent suivant les lois physico-chimiques, il en résulte que la spontanéité de l’être n’est qu’une illusion. D’ailleurs Claude Bernard considère toute spontanéité comme relevant d’une puissance capricieuse, livrée au hasard, et se dérobant aux prises de la science. Ici encore, la même distinction est à faire, et dissipe toutes ces confusions des choses. Les conditions physico-chimiques des phénomènes vitaux ne sauraient traduire aucune spontanéité, rien n’est plus évident; mais la puissance directrice et créatrice, celle qui « dirige les phénomènes qu’elle ne produit pas, » celle-là est toute spontanée. Il faut, en outre, s’entendre sur le sens précis de ce mot : spontané ne signifie pas agir au hasard, ou sans cause ; cela signifie trouver sa cause d’action en soi. Un être spontané possède en lui-même son principe d’action ; l’être vivant possédant en lui une idée créatrice et directrice qui ne l’abandonne jamais est par cela même spontané. Cela n’empêche pas cette spontanéité d’être réglée et de ressentir les influences extérieures. Seulement, ces influences sont causes provocatrices, excitantes, et non déterminantes vraies. De là résulte ce conflit, caractère essentiel de la vie, suivant Claude Bernard, mais qui n’est pas toute la vie, ni son principe.

Claude Bernard donne au déterminisme un autre fondement, un caractère de puissance pratique qu’il ne faut pas méconnaître, mais qui peut-être n’est pas aussi absolu qu’il semble. On ne saisit pas les forces ou les causes premières; on n’agit pas sur elles; on ne peut atteindre que les phénomènes, ou mieux que les conditions physiques des phénomènes. Il faut donc se borner à cette dernière étude, seule pratique. Le reste tourne à la métaphysique, et celle-ci ne mène pas à l’action. Telle est l’affirmation, et je reconnais l’influence qu’elle exerce sur les esprits. Est-elle pourtant décisive? Certainement on ne met jamais la main sur les forces et les causes; mais en quoi a-t-on besoin de les tenir en sa main pour agir sur elles? Le physicien et le chimiste exercent-ils une action immédiate sur les forces physiques, les manient-ils à la main? En aucune façon; ils agissent sur la matière, support et réalisation visible de ces forces. Pourquoi le physiologiste et le médecin ne feraient-ils pas de même? Ont-ils besoin de toucher directement la vie, la sensibilité, la motilité, pour agir sur elles? En aucune façon : ils n’ont qu’à agir sur l’être vivant, irritable, sensible, contractile; c’est leur façon d’agir sur la vie elle-même. La vie est-elle quelque chose en dehors de sa réalisation visible en un organisme irritable et doué de motilité?