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Théophile? C’étaient les disciples de saint Ignace qui avaient fait brûler Théophile en effigie, c’étaient maintenant les fils de saint François qui envoyaient à la Bastille le plus inoffensif des hommes. Où s’arrêterait-on dans cette guerre des saints contre les poètes? Pourquoi ce déchaînement du paradis contre le Parnasse?

Grand prince, on me traite d’impie,
Et d’un hardi faiseur de vers,
Qui de ses traits malins perça tout l’univers
On veut que je sois la copie.
Les gens de bien sont ébaudis
De voir les saints du paradis
Déchaînés contre le Parnasse;
Car, auguste sang de nos rois,
C’était autrefois saint Ignace
Et c’est aujourd’hui saint François.

Il continuait ainsi gaîment, vivement, et le ton seul de sa lettre, cet accent de bonhomie et de candeur, protestait assez contre la sotte accusation d’impiété. La lettre fut portée sans retard au prince de Condé, qui s’empressa d’aller trouver le roi. Condé n’eut pas besoin d’insister; le roi était gagné d’avance, il révoqua sur-le-champ l’ordre auquel il avait consenti par faiblesse et Boursault ne coucha point à la Bastille. Seulement il fallait ménager la reine, la condamnation dont la reine avait frappé le pauvre poète devait, comme disent les gens de loi, sortir au moins une partie de son effet; Boursault reçut l’ordre de ne plus écrire sa gazette, et, chose bien plus grave, nous dit son fils, sa pension de 2,000 francs fut supprimée.

Il lui restait toujours sa plume et la faveur du grand monde. Cette gazette que le roi lui défend de continuer, il l’écrira pour le prince de Condé, pour M. de Fieubet, conseiller d’état, pour le duc-évêque de Langres. Ce sont choses privées, confidentielles; le roi ne lui a interdit que la publicité de la cour. La première gazette adressée au prince de Condé est une lettre en date de 1665. Le prince, qui est dans son château de Chantilly, a chargé Boursault de lui envoyer des nouvelles de Paris et de Versailles, un libre journal à sa façon, moitié prose, moitié vers. Boursault commence par les nouvelles de cour :


Monseigneur,

Pour obéir aux ordres que j’ai reçus de Votre Altesse sérénissime de lui mander toutes les nouvelles que je pourrais savoir, je lui dirai que le roi et la reine allèrent dimanche dernier au-devant de la reine d’Angleterre