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l’ami de Racine les reproduira de nouveau en écrivant ces nobles vers :

Que tu sais bien, Racine, à l’aide d’un acteur,
Émouvoir, étonner, ravir un spectateur !


C’est ainsi que les pages les plus rebattues des grandes œuvres reprennent un caractère de vie et de vérité naïve quand on les replace dans leur milieu. Voilà Boursault, le Boursault de 1670, le Boursault d’Artémise et Poliante, qui nous aide, par ses railleries même, à mieux apprécier Boileau !

On voit que dans ce premier roman de Boursault, c’est surtout l’histoire littéraire qui nous attire. Je dois dire pourtant que le roman lui-même ne manque pas d’un certain charme. Vous n’y trouverez aucune des fadeurs de Mlle de Scudéry, quoique Boursault, dans sa première jeunesse, ait été, comme Boileau lui-même, un admirateur du Grand Cyrus et de Clélie. C’est plutôt le genre de la Princesse de Clèves, beaucoup de grâce, beaucoup de passion, et, sous la douceur trop molle, sous l’élégance trop uniforme du langage, un sentiment très vif de la réalité. Boursault affirme en effet qu’Artémise et Poliante est une histoire réelle et même une histoire de son temps. La grande dame qui l’avait prié à souper le soir de la première représentation de Britannicus en avait écrit une douzaine de pages qu’elle lui communiqua ce soir-là même avec des mémoires pour l’achever, s’il voulait bien en prendre la peine. Il lut ce commencement de l’histoire qui le charma. Il y sentait bien une main de femme et « des beautés confuses, » mais il ne laissait pas d’y trouver son compte et il espéra que les autres y trouveraient le leur, si cette confusion disparaissait. Aussitôt il se mit à l’œuvre, changea seulement les noms des personnages, car la noble dame les avait hardiment conservés et se garda bien d’altérer en quoi que ce soit la vérité des incidens.

C’étaient, notez ce point, quelques-uns des plus grands noms du royaume. Deux personnages, « tous deux de naissance à marcher immédiatement après les princes du sang, tous deux considérés par l’auguste mère de Louis XIV qui était alors régente, et qui passaient tous deux pour les plus vaillans hommes de leur temps, » se trouvèrent divisés par la guerre de la fronde. Ils s’étaient vus de si près sur les champs de bataille qu’ils avaient conçu l’un pour l’autre une singulière estime. Dès que la paix les rapprocha, cette estime profonde se changea en une tendre amitié. Ces deux illustres personnages, dont le nom est inscrit sans doute dans les mémoires de Saint-Simon, Boursault les appelle Coridon et Poliante. La femme de Coridon, l’aimable Artémise, accoucha bientôt d’une fille qui reçut