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peur d’être surpris, s’éloigne en toute hâte, et le rendez-vous est remis au lendemain.

Le lendemain, le prince de Condé raconte l’histoire à ses amis, Coligny et Dandelot. Voilà une affaire qui peut nuire à leurs adversaires, les Guise et le maréchal Saint-André. Comment se servir de cette découverte sans nommer, bien entendu, celui qui l’a faite? Là-dessus on consulte la femme de Coligny, personne de grand sens, qui se charge d’amener la reine à tout savoir le plus naturellement du monde[1]. Elle lui remettra le billet du rendez-vous en lui disant seulement qu’on l’a vu tomber de la poche de Mlle de Saint-André; quant à ce qu’il renferme, elle jurera qu’elle ne l’a point lu. La reine reconnaîtra l’écriture du roi, et la chose ainsi lancée suivra son cours. Fort bien; mais, en venant faire sa visite à Marie Stuart, l’amirale, distraite par un incident, oublie l’affaire qui l’amène, et c’est elle qui à son tour laisse tomber de sa poche le billet accusateur. Quand elle se rappelle l’objet de sa visite, elle cherche son billet et ne le trouve plus. Le prince de Joinville, qui se trouvait placé près d’elle, l’a ramassé sans mot dire et l’a confisqué. Le voilà, lui aussi, en possession d’un secret, et quel secret! Mme l’amirale, la sévère huguenote, reçoit des billets galans! à son âge! avec ses principes! quel scandale d’hypocrisie! Joinville communique sa découverte au duc de Guise, de même que Condé avait communiqué la sienne à Coligny. On délibère dans l’état-major catholique comme on avait délibéré dans l’état-major protestant. Hier les protestans auraient été fort aises de jouer un bon tour au maréchal de Saint-André et au fils du duc de Guise; aujourd’hui c’est le fils du duc de Guise et le maréchal de Saint-André qui seraient tout heureux de déshonorer Coligny. Bref, il est décidé que le maréchal, le duc de Guise et son fils s’arrangeront de manière à surprendre Mme l’amirale avec son galant dans la chambre des métamorphoses. Ils arrivent, ils entrent, chacun tenant une lumière à la main; qui trouvent-ils? Deux personnes couchées au lit et dormant; l’inconnu, c’est le roi, et au lieu de Mme de Coligny qu’ils espéraient surprendre flagrante delicto, le maréchal reconnaît sa fille, le duc reconnaît sa bru, le prince reconnaît sa fiancée.

Le pire, c’est que tous les trois, pour infliger une plus grande confusion à l’amirale, avaient invité à ce beau spectacle deux jeunes seigneurs de leur parti, deux princes de la maison de Bourbon, le duc de Montpensier et le prince de La Roche-sur-Yon. Dire la consternation des uns, les rires étouffés des autres, l’effarement de Mlle de Saint-André, le courroux du roi, les défiances de la reine mère, le dépit de la jeune reine, les rumeurs de la cour, le triomphe

  1. La personne dont il est question ici est la première femme de l’amiral de Coligny, Charlotte de Laval.