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de M. de Bismarck semblent se réaliser aujourd’hui. En Allemagne, le mouvement socialiste catholique date déjà de près de quinze ans, et aux élections récentes pour le parlement impérial, socialistes et ultramontains ont voté ensemble là où ils se trouvaient en minorité, et aux scrutins de ballottage ils se sont entendus pour faire passer celui de leurs candidats qui avait obtenu le plus de voix. Les journaux catholiques disent hautement que plutôt que de transiger avec le chancelier, ils soutiendront les partis les plus extrêmes, et dans le débat sur la loi contre le socialisme, le centre ultramontain a repoussé toute transaction et a voté unanimement avec les socialistes. M. de Bismarck pourra donc prétendre que l’alliance des deux Internationales est un fait accompli, et on affirme même que c’est pour la rompre qu’il a entamé des relations avec Rome.

En France, les catholiques militans, ceux qui constituent vraiment un parti politique, paraissent vouloir entrer dans la même voie. Récemment le journal qui a parmi eux le plus de crédit et qui est en même temps le mieux vu à Rome publiait tout un plan de réformes sociales destiné à mettre un terme « au désordre du régime industriel actuel. » L’idée générale avait été indiquée dans un livre d’un économiste distingué, professeur à l’université catholique de Louvain, M. Périn[1] ; mais jusqu’à présent on semblait se borner à une aspiration platonique vers un retour aux institutions économiques du moyen âge. Maintenant au contraire, il s’agit d’un programme de réformes pratiques auquel on veut rallier les classes laborieuses. M. Périn lui-même et M. le comte de Mun l’ont dit avec les développemens et les mouvemens d’éloquence que le sujet comporte au congrès des ouvriers catholiques réuni récemment à Chartres. Partout il se forme des cercles d’ouvriers et des associations sous les formes les plus variées où ces idées sont exposées et répandues. Le socialisme démocratique n’ayant presque plus de représentans ni d’organes en France, le socialisme catholique ne peut guère lui faire d’emprunts ni lui accorder son appui ; mais en Allemagne, où fleurissent toutes les nuances du socialisme, on peut suivre cette remarquable et très importante évolution.

Déjà en 1863, dans le congrès des savans catholiques à Munich, l’illustre théologien Döllinger avait soutenu que les associations catholiques devaient aborder la question sociale. Bientôt après, un prélat éminent, l’évêque de Mayence, Mgr  Ketteler, publia sur le même thème un livre qui eut un grand retentissement et qui était intitulé Die Arbeiterfrage und das Kristenthum (la Question ouvrière et le Christianisme). Il y montrait que sur certains points le socialisme

  1. La Richesse dans les sociétés chrétiennes. Voyez dans la Revue du 15 novembre 1862 le compte-rendu de ce livre par M. Léonce de Lavergne.