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Molière n’est pas de son avis, il la rembarre même avec impatience, mais Mlle de Brie vient au secours de sa camarade, et, bravant les brusqueries du maître, bravant son j’enrage de vous ouïr parler de la sorte et voilà votre manie à vous autres femmes, elle lui dit nettement ce qu’elle aurait fait : «Ma foi! j’aurais joué ce petit monsieur l’auteur qui se mêle d’écrire contre des gens qui ne pensent pas à lui. »

Voilà l’occasion d’éclater, Molière se l’est ménagée en maître. Ici, en effet, se place cette page cruelle, féroce, page trop connue, mais qu’il faut bien reproduire ici tout entière pour le besoin de notre exposé :


Vous êtes folle. Le beau sujet à divertir la cour que M. Boursault! Je voudrais bien savoir de quelle façon on pourrait l’ajuster pour le rendre plaisant; et si, quand on le bernerait sur le théâtre, il serait assez heureux pour faire rire le monde. Ce lui serait trop d’honneur que d’être joué devant une auguste assemblée; il ne demanderait pas mieux; et il m’attaque de gaîté de cœur pour se faire connaître, de quelque façon que ce soit. C’est un homme qui n’a rien à perdre, et les comédiens ne me l’ont déchaîné que pour m’engager à une sotte guerre, et me détourner, par cet artifice, des autres ouvrages que j’ai à faire; et cependant vous êtes assez simples pour donner toutes dans ce panneau. Mais enfin j’en ferai ma déclaration publiquement. Je ne prétends faire aucune réponse à toutes leurs critiques et leurs contre-critiques. Qu’ils disent tous les maux du monde de mes pièces, j’en suis d’accord. Qu’ils s’en saisissent après nous, qu’ils les retournent comme un habit pour les mettre sur le théâtre, et tâchent à profiter de quelque agrément qu’on y trouve et d’un peu de bonheur que j’ai, j’y consens ; ils en ont besoin, et je serai bien aise de contribuer à les faire subsister, pourvu qu’ils se contentent de ce que je puis leur accorder avec bienséance. La courtoisie doit avoir des bornes; et il y a des choses qui ne font rire ni les spectateurs, ni celui dont on parle. Je leur abandonne de bon cœur mes ouvrages, ma figure, mes gestes, mes paroles, mon ton de voix et ma façon de réciter, pour en faire et dire tout ce qu’il leur plaira, s’ils en peuvent tirer quelque avantage. Je ne m’oppose point à toutes ces choses et je serai ravi que cela puisse réjouir le monde ; mais, en leur abandonnant tout cela, ils me doivent faire la grâce de me laisser le reste, et de ne point toucher à des matières de la nature de celles sur lesquelles on m’a dit qu’ils m’attaquaient dans leurs comédies. C’est de quoi je prierai civilement cet honnête monsieur qui se mêle d’écrire pour eux, et voilà toute la réponse qu’ils auront de moi.

MADEMOISELLE BÉJARD.


Mais enfin...