Page:Revue des Deux Mondes - 1878 - tome 30.djvu/499

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

colosse, dissous dans tous ses liens, n’attend plus qu’un choc pour tomber en débris. »

À cette décadence irrémédiable de l’empire ottoman, Volney oppose l’essor magnifique et tenant presque du prodige qu’a pris l’empire des tsars depuis un siècle. « Il n’y a pas encore un siècle révolu, dit-il, que le nom de Russe était presque inconnu parmi nous : l’on savait par les récits vagues de quelques voyageurs qu’au-delà des limites de la Pologne, dans les forêts et les glaces du nord, existait un vaste empire dont le siège était à Moscou ; » aujourd’hui quel éclat, quel épanouissement, quels pas de géant faits dans la carrière de la grandeur et de la puissance ! Un patriote, un publiciste ayant quelque instinct politique, se serait peut-être demandé, à cet endroit, si un empire doué d’une pareille faculté de croissance et d’expansion n’aurait rien à la longue de menaçant pour sa propre patrie, pour la sécurité de tous, si un tel géant ne deviendrait pas un jour quelque peu gênant pour les états de taille ordinaire qui depuis des temps immémoriaux avaient élu domicile sur notre vieux continent. Volney ne s’arrête pas à des considérations si mesquines ; il entonne un chaleureux sic itur ad astra, et exhorte le Moscovite à s’emparer du globe : « Quel projet plus capable d’enflammer l’imagination que celui de reconquérir la Grèce et l’Asie, de chasser de ces belles contrées des barbares conquérans, d’indignes maîtres ! d’établir le siège d’un empire nouveau dans le plus heureux site de la terre ! de compter parmi ses domaines les pays les plus célèbres, et de régner à la fois sur Byzance et sur Babylone, sur Athènes et sur Ecbatane, sur Jérusalem et sur Tyr et Palmyre ! .. Quelle plus noble ambition que celle d’affranchir des peuples nombreux du joug du fanatisme et de la tyrannie ! de rappeler les sciences et les arts dans leur terre natale ! d’ouvrir une nouvelle carrière à la législation, au commerce, à l’industrie ! et d’effacer, s’il est possible, la gloire de l’ancien Orient par la gloire de l’Orient ressuscité ! .. » Byzance, Babylone, Athènes, Ecbatane, Jérusalem, Tyr et Palmyre ne suffisent pas à la généreuse ambition que ce Français conçoit pour le peuple de Rourik ; il lui fait entrevoir encore les richesses de Calcutta et les merveilles de Bénarès. « L’Inde commence à s’agiter, dit-il, et pourra se passer bientôt d’une tyrannie étrangère. » Enfin, et pour que rien ne manque à l’utopie, Volney conclut en affirmant que, la Russie une fois maîtresse de toutes ces contrées, le monde respirera à l’aise, et un âge d’or commencera pour notre pauvre humanité. « Alors les sujets de querelles devenus moins nombreux rendront les guerres plus rares ; les gouvernemens, moins distraits, s’occuperont davantage de l’administration intérieure, les forces moins partagées se concentreront davantage, et les états ressembleront à ces arbres