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temps[1]. L’ancien lord-chancelier du cabinet Fox, se faisant l’interprète de son parti, s’écriait avec une éloquence émouvante : « Lorsque notre pays n’était qu’une petite île placée aux confins du monde, sans pouvoir, sans ressources, sans aucune influence marquante sur les nations éloignées, et comme nous dans l’enfance, alors, entraînés par leur piété chevaleresque, les Anglais, sous la conduite de leur roi, se croisèrent pour délivrer la terre sainte et effacer jusqu’aux traces des pas des infidèles qui l’avaient souillée. Aujourd’hui que notre puissance s’étend jusqu’aux extrémités de la terre, que nous n’avons qu’à élever la voix pour commander au milieu des nations, nous reculons devant la délivrance d’un peuple subjugué ! .. » Les forces combinées de l’Europe devraient chasser les Turcs de cette partie du monde ; le sang chrétien qu’ils viennent de verser les met à jamais au ban de la civilisation : « La voix de ce sang, comme celui de la première victime de la violence, crie vengeance du fond du tombeau ; et le terrible jugement de Dieu doit être un exemple aux nations qui l’adorent. Qu’ils soient fugitifs et qu’ils errent sur la terre ! .. » Lord Erskine s’indignait d’entendre des ministres britanniques parler de la Turquie comme d’une puissance amie, du sultan comme d’un allié du roi d’Angleterre, et, pour prouver la fausseté de ces assertions scandaleuses, il recourait à un argument de légiste qui ne devait pas manquer de frapper l’esprit de ses compatriotes. Il avouait ingénument que la manière dont il venait d’écrire contre le Grand Seigneur et son Divan « sanguinaire » était un crime punissable devant les lois. Ceci bien établi, il défiait l’ambassade turque de lui intenter un procès, et les ministres de sa majesté de trouver un jury anglais pour le condamner à cause de libelle !

Devant un pareil débordement de passion et d’enthousiasme populaires, qu’ils étaient mal venus, les Villèle, les Londonderry, les Liverpool, les Metternich, à parler des intérêts permanens de l’Europe, de la balance des états, et du devoir des gouvernemens de ne pas sacrifier la sécurité du présent au bonheur problématique de la postérité ! Ils furent tous accusés de haute trahison envers l’humanité, chargés de la malédiction du siècle : bien des années plus tard et déjà au déclin de sa vie, le vieux prince Clément de Metternich se ressouvenait encore de cette insurrection grecque comme de l’époque la plus éprouvée et la plus douloureuse de sa longue carrière de chancelier. Le favori de l’opinion publique, le favori de la fortune fut par contre, dans ces années agitées, le « magnanime »

  1. Letter on the subject of the Greeks to the Earl of Liverpool. London, 1822. — Cet écrit fut instantanément traduit dans toutes les langues de l’Europe ; la traduction française parut chez Didot.