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L’ÎLE DE CYPRE.

et presque l’illusion d’un paysage occidental. Toutes ces constructions somptueuses, qui ont fait l’admiration des contemporains ont eu des charpentes massives et compliquées, comme les composaient les architectes du moyen âge ; or c’est encore aux bois de Cypre qu’il a fallu en demander les matériaux, à ses frênes et à ses pins, à ses cyprès et à ses chênes.

Ce qui, de tout temps, avait doublé la valeur de ces forêts, c’est qu’elles se trouvaient dans une île ; grâce à leur situation, elles étaient d’une exploitation beaucoup plus facile que celles qui couvraient les flancs du Liban ; de l’Amanus ou du Taurus. L’Orient n’a guère connu les routes carrossables ; tout au plus en a-t-il possédé quelques-unes pendant la période de la domination romaine. Encore les plus belles et les plus hardies de ces voies n’ont-elles rien de comparable aux travaux que les ingénieurs modernes ont exécutés dans les Pyrénées, dans l’Apennin, les Alpes et les autres grandes chaînes de l’Europe afin de permettre l’exploitation des richesses minérales ou forestières. Par leur aménagement et par leur tracé, les voies romaines ont été surtout des instrumens de règne ; sans doute, en facilitant les échanges, elles ont développé la production et la richesse dans les provinces qu’elles traversaient ; mais dans la pensée des censeurs et des proconsuls qui les ont construites, qui, pour leur frayer passage, ont percé le roc ou jeté des ponts sur les fleuves et conduit à traversées marécages de longues chaussées, ces routes étaient principalement destinées à transmettre partout la volonté et l’action du pouvoir central, à faire parvenir rapidement jusqu’aux extrémités de l’empire ses messagers et ses délégués, à garantir aux légions romaines, en toute saison, un passage libre et sûr. Quant aux besoins de l’industrie, l’état n’avait même pas l’idée qu’il lui appartînt de s’en préoccuper. Dans de telles conditions, on ne pouvait, sans des efforts prodigieux et de très grands frais, transporter à distance des quartiers de roche ou des pièces de bois dont la dimension fût considérable ; aussi la plupart des grandes villes empruntaient-elles au sol qui les portait ou cherchaient-elles dans leur voisinage immédiat la pierre dont étaient faits leurs édifices et leurs maisons. Pour n’en citer qu’un petit nombre d’exemples, voyez Jérusalem et ses cavernes royales, Gortyne et son prétendu labyrinthe, Syracuse et ses latomies, Rome et les galeries taillées dans le massif même du Palatin, d’où ont été tirés les matériaux de sa première enceinte et de ses plus anciennes constructions. Pour qu’une carrière, pour qu’une forêt eussent quelque prix, il fallait qu’une plaine plus ou moins large les séparât seule d’une cité populeuse ou bien qu’elles fussent situées soit au bord d’un grand cours d’eau navigable comme le Nil, le Tigre ou l’Euphrate, soit au-dessus des rivages mêmes de la