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celles-ci, bouillies dans l’huile, on tirait un parfum fort estimé ; ses feuilles donnent une poudre verdâtre que l’on voit encore aujourd’hui exposée dans tous les bazars du Levant Préparée de diverses manières, cette poudre sert à teindre en rouge ou en jaune la crinière, le sabot et la queue des chevaux ; elle sert surtout aux femmes pour se peindre certaines parties du corps, telles que les ongles et les cheveux, surtout les lèvres et les paupières ; avec le noir de fumée, qui épaissit et allonge le sourcil, elle agrandit l’œil et elle le creuse ; elle lui donne cet éclat qui le fait si brillant entre les plis blancs du voile, cette lumière qui semble venir de si loin. En l’employant à ces usages, les harems du Caire, de Damas et de Stamboul ne font que continuer la tradition de ceux de Memphis et de Thèbes, de Babylone et de Ninive, d’Ecbatane et de Suse. L’Orient, comme on l’a dit, n’est pas dans le temps, il n’est que dans l’espace ; les siècles valent en Orient ce que les années comptent en Occident.

Le cyprus ou henné est très commun aussi en Égypte et en Syrie, ainsi que le prouve l’origine sémitique de son nom grec ; c’est de la côte syrienne qu’avait été importée dans l’île, sinon la plante elle-même, partout répandue, tout au moins la fabrication de la teinture végétale que lui demandait la coquetterie féminine. Cypre passait pour avoir en propre un autre produit du même genre, auquel la médecine ancienne attribuait des vertus curatives très puissantes : c’était le ledanum ou ladanum, dont il est déjà question dans Hérodote. On croyait que, pour se préserver de la peste et de toutes les épidémies, il suffisait d’en tenir un morceau dans la main et de le porter souvent à ses narines. Le ladanum provient d’un ciste qui, comme l’indique son nom officiel et savant (cistus creticus), se rencontre ailleurs qu’à Cypre ; sur plus d’une montagne de la Crète et d’autres îles de l’Archipel, je l’ai vu couvrir de ses jolies fleurs d’un rouge clair des pentes tout entières. Chaque pied forme un petit buisson qui atteint souvent près d’un mètre de hauteur. Les tiges et les feuilles sont garnies de poils au bout desquels se dépose une sorte de résine qui s’épaissit à l’air et qui reste là suspendue en gouttelettes visqueuses. Le ladanum a perdu de son prestige ; la pharmacie en fait pourtant encore quelque usage et Cypre en exporte une certaine quantité. Si nous en faisons mention, c’est à cause du procédé que l’on emploie pour le recueillir. Ce qu’il a de curieux, c’est qu’il est le même qu’au temps d’Hérodote et de Dioscoride ; rien de moins industriel et de plus primitif. Voici comment le décrit l’abbé Mariti, qui, à la fin du siècle dernier, a consacré un livre très consciencieux et très plein d’observations judicieuses à l’île de Cypre, où il avait passé plusieurs années[1] : « La majeure partie du ladanum se recueille, au prin-

  1. Voyage dans Vile de Cypre, la Syrie et la Palestine, 2 vol. Paris, 1791.