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L’ÎLE DE CYPRE.

chés que toutes ces cités naissantes, préoccupées de leur nourriture et de leurs approvisionnemens, pressées de se meubler et de s’armer au plus vite.

Les fondations de villes se succédèrent pendant un siècle ou deux, à bref intervalle. Les Grecs d’Asie-Mineure, pourtant les plus rapprochés de Cypre, ne paraissent avoir pris aucune part à cette colonisation, sans que nous sachions pourquoi la puissante Milet, qui, vers ce même temps, couvrait de ses comptoirs les rivages de la Propontide et de l’Euxin, ne se tourna point vers le sud. Ce fut de la Grèce centrale et du Péloponèse que vinrent les colons. La tradition faisait remonter jusqu’à Teucer, le frère du grand Ajax, l’origine de la cité grecque qui devint ensuite la plus importante de toute l’île, Salamine, située sur la côte orientale, à l’embouchure du Pediæos, et commandant ainsi toute la plaine de la Mesoria ; autrement dit, Salamine fut fondée par les Éginètes. Des Argiens s’établirent à Curion, des Sicyoniens donnèrent naissance à Golgos, des Laconiens à Lapathos et à Kerynia, des Arcadiens à la Nouvelle-Paphos, située à peu de distance vers l’ouest de la Paphos phénicienne. Les colonies athéniennes se répandirent dans le nord de l’île et dans la plaine de la Mesoria. Enfin il est encore question de Dryopes et d’Achéens.

Ces données, éparses chez les historiens anciens, sont certainement très incomplètes. Le déchiffrement des inscriptions écrites en caractères cypriotes vient de prouver que le grec parlé dans l’île avait un caractère éolien aussi marqué que le dialecte de Lesbos ou celui de l’Arcadie et de l’Elide ; il faut donc que l’élément éolien l’ait emporté dans cette colonisation, et c’est ce dont ne nous avertissaient pas les textes d’où, jusqu’à ces derniers temps, nous tirions tous nos renseignemens. Voici comment on peut s’expliquer cette apparente anomalie : malgré leurs points de départ si différens, toutes ou presque toutes ces bandes d’émigrans ont dû appartenir à ces couches anciennes de la population grecque que vint troubler et bouleverser, vers la fin du XIIe siècle, l’invasion dorienne ; or ces couches étaient formées surtout de tribus éoliennes et achéennes, proches parentes les unes des autres. Chassées de leurs demeures premières dans ces grands chocs et déplacemens de peuples dont parle Thucydide, certaines fractions de ces tribus auraient fini par s’embarquer pour aller chercher fortune vers l’Orient, en Argolide ou en Laconie ; d’autres seraient sorties des ports de l’Attique ; mais toutes n’en auraient pas moins été unies par des liens très étroits ; il n’y aurait point eu là cette diversité d’origine à laquelle on serait tenté de croire, si l’on prenait trop à la lettre les témoignages des auteurs.

Grâce à la situation de l’île et à la fécondité de son sol, grâce