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paré qui servait d’apanage à l’un des princes lagides. Elle était dans cette situation lorsque, l’an 59 avant Jésus-Christ, une rancune et un caprice du fameux tribun Clodius, l’ennemi de Cicéron, en amenèrent la réduction en province romaine. Caton fut envoyé, pour en prendre possession, sans vaisseaux ni soldats, tellement on regardait les Cypriotes, depuis longtemps façonnés à l’obéissance, comme incapables d’avoir la moindre velléité de résistance. De la vente des objets précieux appartenant au dernier roi ainsi que du trésor qu’il avait laissé, Caton tira et rapporta à Rome près de sept mille talens, environ 40 millions de francs. Un moment rattachée à l’Égypte par la prodigue tendresse d’Antoine pour Cléopâtre, Cypre fut comprise par Auguste au nombre des provinces dont il abandonnait le gouvernement au sénat ; l’administration en fut confiée à un proconsul.

On pourrait faire tout un recueil des épithètes hyperboliques dont se servent les écrivains latins pour célébrer la fécondité de cette riche province, un des joyaux de l’empire. Voulant donner une idée de la variété de ses produits, Ammien Marcellin dit que, sans rien tirer de l’étranger, on peut à Cypre équiper et mettre en mer un navire rempli des denrées les plus précieuses. Bois, agrès, cordages, marchandises formant la cargaison, tout aura été emprunté à l’île même, à ses forêts et à ses vergers, à ses champs et à ses mines. Cypre avait bien été parfois le théâtre d’opérations militaires ; des batailles navales s’étaient livrées devant ses ports ; ses villes principales avaient été plusieurs fois assiégées ; mais jamais, à proprement parler, elle n’avait été ravagée par la guerre et la conquête. Ses vieilles cités subsistaient donc encore avec les monumens si divers qu’y avaient accumulés les différentes civilisations dont l’influence s’était successivement fait sentir à Cypre, depuis la Phénicie, l’Assyrie et l’Égypte jusqu’à la Grèce classique, la Grèce alexandrine et la Rome impériale. Les sanctuaires de la Vénus cypriote, héritière de l’Astarté phénicienne, étaient entourés d’arbres séculaires d’où s’abattaient en tournoyant, avec un grand bruit d’ailes, des volées de pigeons blancs, oiseaux chers à la déesse. Comme le dit Tacite à propos du pèlerinage que Titus fit à Paphos pendant son séjour en Orient, les temples étaient encore remplis des dons des anciens rois. Rites et symboles, tout y gardait une couleur très particulière, bien plus asiatique que grecque, quoique la langue hellénique fût seule alors parlée par les habitans de l’île. Les prostitutions sacrées, l’une des pratiques qui caractérisent le mieux les religions syriennes, avaient ici leur place marquée. Les hiérodules de Paphos, courtisanes attachées au sanctuaire par une sorte de vocation religieuse dont elles portaient les insignes, n’étaient pas moins célèbres que celles de Corinthe.