Page:Revue des Deux Mondes - 1878 - tome 30.djvu/550

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
544
REVUE DES DEUX MONDES.

de ces lointaines colonies que l’on commençait à tirer, en plus grande quantité et à meilleur compte, les épices, le sucre et le coton.

En 1570, Cypre tombait aux mains des Turcs, et la décadence se précipitait. Grands fumeurs, ils plantèrent du tabac ; c’est tout ce que l’île leur aura dû. La seule culture récemment introduite, si cela peut s’appeler ainsi, c’est la culture du caroubier. Cet arbre, de temps immémorial, poussait un peu partout ; mais il était surtout très abondant vers le sud, autour de Limassol. Pendant des siècles, on n’en tirait presque aucun parti ; tout au plus en donnait-on parfois aux bestiaux les fruits, de longues gousses, d’un brun roux, celles mêmes que, dans la parabole, l’Enfant prodigue dispute aux pourceaux pour apaiser sa faim. L’industrie a trouvé moyen d’utiliser en grand ce produit ; elle en extrait de la mélasse ou elle le distille pour fabriquer de l’alcool, opérations qui laissent des résidus très propres à l’engraissement du bétail ; aussi tout ce que l’île peut produire de caroubes est-il enlevé par le commerce, surtout pour l’Angleterre et la Russie. On en exporte environ dix mille tonnes par an. Cet arbre précieux ne demande que de bien faibles soins ; il faut insérer sur le sauvageon une greffe provenant d’un pied en plein rapport ; il convient ensuite d’émonder tous les ans au printemps. Cela suffit pour obtenir une récolte abondante. On cite tel vieux tronc qui a donné parfois jusqu’à sept cent cinquante quintaux métriques de fruit.

Malgré l’importance du revenu que tirent certains districts d’un végétal si longtemps négligé, il n’y a là qu’une faible compensation pour tout ce que l’île a perdu d’autre part. Par l’effet naturel d’une domination incapable et avide, d’impôts mal assis et perçus d’une manière vexatoire, toutes les autres cultures ont décliné lentement. Ce déclin s’était même accéléré depuis quelques années, depuis que la Porte, aux prises avec tant de difficultés politiques et financières, avait fréquemment recours à des augmentations de taxes qui décourageaient le paysan et le dégoûtaient du travail. La canne à sucre a disparu de l’île et peut-être n’y a-t-il là rien à regretter ; cette culture n’y serait plus rémunératrice. On y verra de même abandonner bientôt celle de la garance, à laquelle ont dû renoncer nos départemens du midi. C’est que la chimie fabrique aujourd’hui de toutes pièces le principe tinctorial contenu dans la garance, l’alizarine, et le livre à meilleur marché que ne le peut faire l’agriculture.

On n’a pas les mêmes raisons pour se résigner à la décadence de l’industrie vinicole. Depuis deux siècles, beaucoup de vignobles ont été délaissés ; dans ce qui reste des anciennes plantations, le vin se fait avec moins de soin qu’autrefois ; à mesure que sa qualité