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scientifique quand il dit que la colère monte à la tête ? M. Beaunis croit avoir trouvé un exemple frappant de la justesse de cette locution métaphorique : Un homme à qui l’on vient de lancer une pierre la ramasse et en frappe son adversaire. Dans cette suite d’actes, choc de la pierre, impression locale, ébranlement d’un nerf sensitif, modification d’un centre nerveux, sensation cérébrale de douleur avec conscience, réaction de la volonté, mouvement musculaire qui en est la suite, ce physiologiste ne voit qu’une série de transformations du mouvement externe primitif[1]. Transformation est le mot propre, puisqu’il est avéré que le mouvement ne se crée pas. En expliquant ainsi toute la série des manifestations de l’activité vitale, la physiologie mécaniste veut bien avouer que l’analyse expérimentale n’est point encore venue la confirmer ; mais elle s’y tient fermement, parce qu’elle ne comprend pas une autre explication. La spontanéité des actes vitaux est pour elle un mystère inintelligible, pour ne pas dire un non-sens.

La distribution fort incomplète encore, mais certaine, des fonctions psychiques des diverses parties du cerveau prête également, selon cette école, à des explications qui tendent à infirmer tous les enseignemens de la conscience sur le moi et la personnalité humaine. S’il est vrai que tout organe ait sa fonction propre, telle partie du cerveau pour la sensation, telle autre pour l’imagination et la mémoire, telle autre pour la volonté et la pensée, ne peut-on pas en conclure que c’est la partie cérébrale servant de siège et d’organe qui sent, qui se souvient, qui pense et qui veut ? Que devient alors la simplicité du moi et l’unité de conscience ? La vie psychique peut-elle être scientifiquement conçue comme autre chose qu’une unité collective, une pure réunion de facultés correspondant à autant d’organes distincts ? N’est-il pas temps de reléguer ces attributs apparens de l’être humain parmi les entités de la psychologie métaphysique ?

Enfin la théorie de l’évolution embryonnaire et organique est venue, selon l’école mécaniste, tout à propos pour en finir avec l’hypothèse des causes finales. Tant que la science avait ignoré le secret des générations de la nature, elle pouvait prêter l’oreille à ce genre d’explications. N’ayant pas vu comment l’être vivant s’engendre, se développe, s’organise par les mouvemens insensibles d’une activité continue, elle était forcée d’accepter le secours d’une cause étrangère, qui présidait elle-même à ce travail admirable, avec conscience et volonté. Maintenant qu’elle sait dans le plus menu détail comment travaille la nature, elle n’a plus besoin d’une hypothèse

  1. La Force et le Mouvement. Nouveaux élémens de physiologie humaine.