Page:Revue des Deux Mondes - 1878 - tome 30.djvu/589

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comédiennes. La chose est restée au répertoire comme un exercice de diction. Dans une de ces soirées composées de morceaux rares et curieux, comme on eh a vu de temps en temps au Théâtre-Français, je me rappelle avoir entendu cette symphonie étrange merveilleusement exécutée par deux actrices d’un rare talent, Mmes Plessy et Favart, si j’ai bonne mémoire. C’était chose piquante de voir cette page de Boursault ainsi mise en relief par deux filles de Molière.

Voilà comment des formes très variées de la sottise humaine sont représentées dans cette galerie. Il y a encore les niais, légion innombrable, ceux qui viennent conter leurs petites affaires au journaliste : une pension à obtenir du roi, un mariage à conclure ou à rompre. Il y a les empiriques, les pauvres diables, les quarts de savant, les poètes ridicules, les héritiers des marquis de Molière, qui veulent absolument faire imprimer leurs vers dans le Mercure galant, et quels vers, juste ciel ! quelles platitudes ! quelles trivialités ! Auprès de ces ballades et de ces charades, le sonnet bafoué par Alceste est un pur chef-d’œuvre. Enfin, parmi les chercheurs de réclame, n’oublions pas le soudard, un marin qui s’en vient, le verbe haut, le poing sur la hanche, requérir un panégyrique de ses exploits. Ce héros d’allure suspecte estropie intrépidement la langue française. Comme le paysan ivre dont parle Luther, on ne le redresse d’un côté que pour le faire tomber de l’autre. La scène de Merlin et de la Rissole est presque une farce classique ; du moins est-elle souvent citée comme une des meilleures bouffonneries du vieux temps.

En face de cette caricature, l’auteur a placé heureusement des types qui se rapprochent de la vraie comédie, par exemple la grande dispute entre M. Brigandeau, procureur du Châtelet, et M. Sangsue, procureur à la cour. Voilà des traits que Racine a oubliés dans ses Plaideurs. C’est plus qu’une peinture comique, c’est une satire amère, violente, un vrai réquisitoire. L’année précédente, en 1682, une comédie, intitulée Arlequin procureur, a flétri la rapacité des hommes de loi. Or, M. Brigandeau vient apprendre au rédacteur du Mercure que les pillards dénoncés par la comédie ne sont pas ses confrères, les procureurs du Châtelet ; ce sont les procureurs de la cour, l’auteur lui-même l’a déclaré. À ce moment-là même paraît M. Sangsue, qui vient faire exactement la déclaration contraire. La lutte s’engage, il pleut des gros mots ; bref, on a ici un commentaire en action d’Arlequin procureur. Seulement, c’est un commentaire en partie double ; chaque procureur fait le sien. — « Ce trait de friponnerie signalé dans la pièce, à qui donc l’auteur l’applique-t-il ? Aux procureurs du Châtelet. — Et à qui donc ce brigandage ? Aux procureurs de la cour. » — Il résulte de la bataille