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gentilshommes ? Non, certainement, il ne l’épousera point ; Ésope est le type du sage, il laissera Euphrosine épouser celui qu’elle aime, et, donnant des leçons à tous, à Léarque, à Euphrosine, à son futur époux, à tous les habitans de Cyzique, il n’oubliera pas de prêcher d’exemple autant qu’il prêche en fables et en apologues. Le mariage d’Ésope n’est donc que le sujet apparent ou le prétexte ; le vrai sujet, ce sont les enseignemens du sage.

Le début est charmant ; c’est le portrait de ce sage dessiné par Léarque en présence de sa fille, qui se désole, et de la suivante, qui se moque. Boursault a emprunté à Molière une de ces servantes, esprits alertes, langues bien pendues, qui défendent leurs jeunes maîtresses contre les tyrannies paternelles. Figurez-vous une sœur de Martine ou de Nicole. Celle-ci se nomme Doris. Elle ne connaît d’Ésope que sa difformité physique, et l’idée qu’Euphrosine puisse être contrainte d’épouser un pareil magot la met hors d’elle-même. Magot, ai-je dit ; c’est le mot qui lui vient le plus souvent. Elle a pourtant un vocabulaire des plus riches, chaque fois qu’il est question d’Ésope : magot, mâtin, marmouset, marsouin, singé, chat-huant. Léarque, en vrai Géronte, consent d’abord à discuter avec Doris :

Ésope, selon toi, n’est donc pas son fait ? — Non.
Pour épouser un singe, il faut être guenon.
Car, entre nous, monsieur, Ésope est un vrai singe.
Celui qui vous est mort, — quand il avait du linge,
Un justaucorps, des gants et son petit chapeau, —
Au gré de tout le monde était beaucoup plus beau,
Et s’il faut qu’à vos yeux mon cœur se développe,
Je l’aurais épousé plus volontiers qu’Ésope.


Léarque alors, tournant le dos à l’impudente et ne s’adressant plus qu’à sa fille, s’efforce de lui découvrir sous l’enveloppe du magot une beauté incomparable, comme Rabelais nous fait voir un dieu sous le masque de Silène. Oh ! le pur esprit ! la belle âme ! quelle vertu ! quel désintéressement ! Comme il use noblement de ce pouvoir suprême que lui a confié le roi !

Il sert le roi, le peuple et ne fait rien pour lui.
Au riche comme au pauvre il tâche d’être utile ;
Et depuis quatre mois qu’il va de ville en ville,
Il enseigne aux petits à faire leur devoir,
Et tempère des grands l’impétueux pouvoir.
A la droite raison il veut que tout se rende,
Qu’en père de son peuple un monarque commande.
……….
Partout où de Crésus s’étendent les états,
Il dépose à son gré les mauvais magistrats,
Change les gouverneurs qui, par coups et menaces,