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— de l’autre simplement les jaloux, les envieux, les ennemis intéressés, et parmi ceux-là, au premier rang, les gens de l’Hôtel de Bourgogne, auteurs et comédiens. Boursault, si bien reçu dans les compagnies les plus nobles, si familier avec les comédiens rivaux de Molière, avait entendu de côté et d’autre les critiques dirigées contre l’ouvrage dont tout Paris s’occupait. Esprit simple, âme naïve, il était certainement plus sensible aux beautés de la pièce qu’aux prétendues fautes dont s’offensaient les rigoristes. Cependant cette simplicité même le livrait à de mauvaises influences. C’était un grand enfant que ce naïf Boursault. Lorsque parut en 1663 la Critique de l’École des femmes, les ennemis de Molière, cherchant à lui susciter un adversaire qui ne fut pas seulement un plumitif comme Visé, un adversaire qui eût pied dans le monde des grands seigneurs, pensèrent naturellement au secrétaire des commandemens de la duchesse d’Angoulême. On lui persuada que le poète Lysidas, dans la Critique de l’École des femmes, le poète ridicule, le pédant gourmé, c’était lui. Singulière découverte, en vérité, de la part des metteurs en scène ! et de la part de Boursault étrange facilité à se laisser conduire à la lisière ! Lysidas est un pédant qui cite Aristote à propos d’Arnolphe et d’Agnès, Lysidas oppose gravement l’Art poétique d’Horace aux libres inventions du poète comique; et ce serait là Boursault, Boursault qui ne sait ni le grec ni le latin, Boursault, l’enfant de la nature, le petit vagabond de Mussy-l’Évêque, devenu l’aimable aventurier des salons de Paris ! A toutes ces provocations intéressées, il aurait dû répondre en haussant les épaules; mais non, il se laisse monter la tête, comme un étourneau qu’il est, et le voilà qui entre en campagne. Il part, il est parti. Ainsi est née cette comédie malencontreuse qui a été la grande faute de sa jeunesse et qui pèse encore sur sa mémoire, le Portrait du peintre, ou la Critique de l’École des femmes.

Le Portrait du peintre, qu’est-ce à dire ? Molière est-il donc joué en personne sur la scène ? Pas le moins du monde. C’est une conversation entre des comtesses, des marquises, des barons, des chevaliers, à propos de la pièce nouvelle. L’œuvre de Molière y est jugée librement, Molière n’y est pas même nommé. Le seul nom propre qui soit prononcé dans ce petit acte, et prononcé avec accompagnement d’injures, c’est celui de Boursault. Lorsque la marquise Amarante, à la fin de l’entretien, annonce que cette discussion est déjà une petite comédie et que cette comédie sera mise en vers par Boursault, le comte, un défenseur de Molière, mais un défenseur très ridicule, on le pense bien, crible Boursault d’épigrammes et de gros mots. Ce Boursault ! Je le connais, c’est une