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écueils du sujet. Boursault était obligé de refaire quelques-uns des chefs-d’œuvre de La Fontaine. Refaire le Renard et le Corbeau ! tout à l’heure il refaisait le Rat de ville et le Rat des champs ; tout à l’heure encore, avec le même sans façon et la même intrépidité, il va donner une variante de ces deux pages immortelles : le Loup et l’Agneau d’abord, ensuite la Grenouille qui veut se faire aussi grosse que le Bœuf. Ce bon Boursault, si modeste d’ailleurs et d’un si juste sens, a-t-il compris à quel danger il s’exposait ? hélas ! j’ai peur que non. Il n’avait pas assez le sentiment du grand art. Il suivait sa pensée aimable et candide, sans s’apercevoir qu’il y avait plus que de la candeur à recommencer de telles œuvres, des médailles frappées pour les siècles. Disons-le donc une fois pour toutes : les fables qu’il met dans la bouche d’Ésope sont presque toujours d’une extrême faiblesse, mais les scènes qui sont comme la mise en action des apologues du sage offrent très souvent un vrai mérite d’observation fine, de langage naturel et franc.

Qu’est-ce que le Loup et l’Agneau dans la comédie de Boursault ? Deux personnages de l’ancien régime mis en scène avec cette hardiesse ingénue si bonne à rencontrer chez nos vieux poètes. L’agneau est un orphelin recueilli par le bonhomme Pierrot et sa femme Colinette, le loup est le seigneur de l’endroit,

........ Certain grand escogriffe
Qui de tous les seigneurs a la meilleure griffe.

Pierrot et Colinette en ont terriblement à dire sur son compte. C’est un vrai tyran de village, ce hobereau, un homme qui ne respecte rien, qui se moque de Dieu et du diable, du droit et du devoir, de l’honneur des femmes et de l’avenir des enfans. Chaque jour il tire de sa poche un droit nouveau. Une écrevisse qu’on prend, un moineau qu’on tue, vite un procès devant le juge. Il prélève sa dîme sur toutes choses, sur les choux, les poireaux, les citrouilles. Peu s’en faut qu’il ne réclame un droit pour l’air que respire le pauvre paysan. Il en réclame un de tout le village si les vilains ne réduisent au silence les grenouilles de ses fossés :

Les fossés du château sont tout pleins de grenouilles,
Qui, pur méchanceté, lui font un si grand bruit,
Qu’il ne dort pas un brin tant que dure la nuit.
Par un papier qu’il a, griffonné d’un notaire,
Il veut, bon gré, mal gré, que je les faisions taire,
Et faute jusqu’ici d’empêcher leur cancan,
Chaque maison du bourg paie un écu par an.
C’est un dogue affamé qui toujours mord et ronge.
Empêcher des crapauds de crier, le pouvons-je ?

Ainsi Colinette explique, en son patois, comment ce seigneur,