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qu’il a donné le jour à quatorze drôles, huissiers comme lui et pires que lui, vautours fils de vautours ; enfin ces comédiens qui prient Esope d’assister à une de leurs représentations, non pour faire plaisir à Ésope, mais pour tirer parti de sa présence, pour faire d’Ésope une réclame. Great attraction ! À cette soirée assistera le ministre, le sage ministre, l’illustre bossu dont la bosse est pleine d’apologues. Ésope les devine sans peine :

...... C’est-à-dire, à parler nettement,
Que c’est moi qui serai le divertissement,
Et, pour aller au but où votre troupe aspire,
Vous tirerez l’argent, et moi je ferai rire.

Cependant il accepte l’invitation, car, s’il tient à ne pas être dupe, il ne cesse point pour cela d’être bon prince, je veux dire bonhomme. En attendant, il cause avec l’orateur de la troupe, et l’on comprend que Boursault, si mêlé aux comédiens et aux auteurs dramatiques de son temps, trouve là une excellente occasion de dire aux uns comme aux autres quelques vérités piquantes.

Qui de vous, je vous prie, est le complimenteur ?
— C’est moi, monsieur. — C’est vous ? — Moi-même. — Ergo menteur.

— Avez-vous une bonne troupe, un bon répertoire, beaucoup de pièces nouvelles ? Y a-t-il de bons auteurs dans cette ville ? — Eh, eh… — J’entends ; couci, couci. Malheur à qui s’en mêle, si l’art de charmer lui manque ! Dans tout ce qui n’est pas nécessaire, on ne supporte pas le médiocre, ni même le passable. Il faut de l’excellent, du merveilleux :

Qu’on n’ait point de pain blanc, on en mange du bis.
De velours ou de serge on se fait des habits,
Parce qu’en quelque état que le destin nous range,
Il faut absolument qu’on s’habille et qu’on mange ;
Mais du consentement de cent peuples divers
Rien n’est moins nécessaire au monde que des vers,
Et par cette raison qui me semble équitable
Les passablement bons ne valent pas le diable.

À travers ces épisodes, dont la succession monotone n’est pas toujours assez dissimulée, on voit courir l’intrigue légère qui sert de cadre au tableau. Ésope n’a pas dit immédiatement à Euphrosine qu’il renonçait à l’épouser, qu’il ne la disputerait point à celui qu’elle aime ; Euphrosine est inquiète, irritée, et une heure vient où cette fureur éclate. Oh ! la belle révolte amoureuse ! Tout cela, pour Ésope, c’est une occasion d’étudier la nature humaine sur un sujet franc et ingénu. Il n’est pas fâché de voir si l’ambition de jouer un rôle à la cour ne va pas altérer dans le cœur d’Euphrosine l’amour qu’elle a juré au brillant Agénor, Ésope se réjouit donc de la