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— J’y compte bien, car vous n’avez sans doute pas oublié l’insulte que j’ai reçue de vous au bal des mestizas ?

— Mais... si fait. Je vous ai insulté ?

— Vous avez la mémoire courte, senor.

— Non, répondit George flegmatiquement, pas d’ordinaire.

— La mienne est meilleure, et, si vous le voulez bien, nous terminerons tout de suite cette affaire.

— Comment ?

— Mais... en galans hommes. Vous m’avez outragé, j’ai droit à une réparation et je vous la demande.

George Willis le regarda avec surprise. A qui en avait-il et que lui voulait cet enragé ? Le regard du planteur était assez expressif, et George comprit qu’il mettait en doute sa bravoure. — C’est absurde, se dit-il, mais puisqu’il y tient... Bah, nous ferons comme les Irlandais, ils se battent d’abord, quitte à s’expliquer ensuite s’ils le peuvent.

Don Rodriguez attendait. Sa main nerveuse caressait le cou de son cheval, et ses yeux, fixés sur George, prenaient une expression railleuse qui n’était guère du goût de ce dernier.

— Comme il vous plaira, reprit-il enfin en haussant les épaules. Que proposez-vous ?

— Il y a ici près un petit bois qui fera fort bien noire affaire. Vous avez votre carabine, j’ai la mienne. Vous entrerez d’un côté, moi de l’autre, et...

— Je vois cela d’ici, interrompit George, la chasse à l’homme, et... nous tirerons...

— Chacun une fois, si aucun de nous n’est atteint...

— Nous en reparlerons... ou nous recommencerons. C’est à merveille.

— J’aurais une faveur à vous demander. Si vous me tuez, veuillez remettre au curé Carillo quelques lignes que je vais écrire afin que vous n’ayez aucun ennui...

— On n’est pas plus aimable.

— ... Et ensuite, reprit gravement don Rodriguez, je vous prierai de veiller à ce que l’on m’ensevelisse en terre sainte.

— Oh ! pour cela, avec le plus grand plaisir, répondit George, mais service pour service. Vous voudrez bien aussi, s’il m’arrive malheur, remettre au curé un mot de moi.

— Très volontiers.

Tous deux descendirent de cheval ; puis, après avoir vérifié la charge de leurs carabines, ils écrivirent au crayon leurs missives, qu’ils échangèrent.

Le sang-froid de George Willis lui conciliait l’estime de son adversaire.