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il aperçut l’avant-bras et la main de don Rodriguez accroupi qui le couchait en joue. Deux coups de feu retentirent simultanément, et la balle de don Rodriguez, égratignant l’arbre à la hauteur de sa poitrine, dévia et s’alla perdre dans le bois. La fumée dissipée, George vit don Rodriguez debout et appuyé contre un arbre. — Je suis content de ne pas l’avoir tué, dit George, pourvu qu’il n’insiste pas pour recommencer. — Rejetant sa carabine sur son épaule, il se dirigea vers lui.

— Si vous m’en croyez, senor, nous en resterons là.

— Il le faut bien, dit don Rodriguez, vous m’avez touché.

La balle de George lui avait traversé le bras, mais la blessure n’offrait pas de gravité, les chairs seules étaient atteintes. George fit un premier pansement et voulut absolument ramener son adversaire à Mérida. Sa franche cordialité, ses attentions et ses regrets, la loyauté et le courage dont il avait fait preuve lui eurent promptement gagné le cœur de don Rodriguez. Ils se quittèrent donc les meilleurs amis du monde, et quand, deux heures plus tard, George reprit la route de Sisal, ce fut en se disant qu’après tout les choses auraient pu tourner beaucoup plus mal, que don Rodriguez était un galant homme, bien qu’hidalgo, et que, chaque pays ayant ses usages, il convenait de s’y conformer. Puis il songea un peu à dona Mercedes, davantage à dona Carmen, se demanda quel grief Harris pouvait avoir contre une jeune fille inoffensive, et se promit de le surveiller de près.

Deux jours après, il revenait triomphant de Sisal, ramenant avec lui trois matelots, plus le maître d’hôtel et le cuisinier du Montézuma, qu’il avait engagés, avec l’agrément du capitaine, généreusement payé de sa complaisance. A son retour, il passa par Mérida, revit Rodriguez dont la blessure se cicatrisait promptement et qui lui renouvela toutes ses assurances d’estime et d’amitié. Il raconta à Fernand les détails de sa rencontre avec le jeune planteur, et les avis de ce dernier au sujet d’Harris, puis ils procédèrent à leur installation dans le Palais du Nain. Ainsi que le leur avaient prédit dona Mercedes et le curé, ils ne purent décider aucun Indien à entrer à leur service, mais cinq matelots robustes et vigoureux valaient une escouade de mayas. En peu de temps, ils eurent déblayé les pièces nécessaires, terminé les réparations urgentes et, libres de ce côté, George et Fernand explorèrent le palais, dans un coin duquel ils étaient campés tant bien que mal.

A l’intérieur, de petites pièces, la plupart ne recevant ni jour ni air et communiquant ensemble par d’étroits couloirs ménagés dans l’épaisseur des murailles, entouraient une immense salle qui occupait le milieu de la façade. Deux grandes ouvertures cintrées