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bien loin. Je ne le regrette pas, croyez-le, et ce m’est une consolation de retrouver ici et en vous...

— Des amis, dona Mercedes, à qui vous pouvez parler sans crainte, interrompit Fernand.

— Certes, dit George Willis, je ne soupçonnais pas, lorsque nous nous sommes rencontrés au bal des mestizas, sous les auspices du curé Carillo, que j’étais en présence d’une compatriote.

— Obligez-moi en ne le disant pas, reprit dona Mercedes ; on me croit Mexicaine, et de fait je le suis par ma mère. J’ai, pour me taire, des raisons sérieuses que je vous confierai peut-être un jour. Le curé Carillo est, à Mérida, seul au courant des circonstances dont je viens de vous entretenir et je n’ai eu qu’à me louer de sa discrétion et de ses bons offices. Grâce à lui on nous laisse vivre en paix, et si l’on a trouvé singulier le choix que nous avons fait de ces ruines, cependant on respecte notre solitude. A la suite de cette conversation, leurs visites au palais du gouverneur devinrent plus fréquentes. De son côté, don Rodriguez, remis de sa blessure, venait de temps à autre voir George et Fernand, qui l’accueillaient toujours avec plaisir et pour lesquels il éprouvait une sincère sympathie. Don Rodriguez n’était pas amoureux de Mercedes comme ils l’avaient supposé un instant. Il admirait la beauté de la jeune fille, mais il l’avait vue rarement, et, tout en professant pour elle un culte chevaleresque, son orgueil seul avait souffert de la scène du bal. Les paroles insultantes d’Harris à l’adresse de dona Mercedes avaient révolté sa nature loyale et confiante. L’influence que lui donnaient sa naissance et sa fortune intimidait évidemment le marin, qui n’avait pas reparu, et que l’on disait parti avec sa goélette pour les côtes de Cuba. Son retour était incertain, mais don Rodriguez en serait prévenu, et si des mesures plus énergiques devenaient nécessaires, il n’hésiterait pas à les prendre. En toute occasion ils pouvaient compter sur lui, et son concours ne leur ferait pas défaut.

Tous deux lui en étaient reconnaissans ; ils sentaient qu’un secret pesait sur la vie de dona Mercedes. Ne leur avait-elle pas dit qu’elle avait, pour se renfermer dans la solitude et pour cacher sa nationalité, des raisons qu’elle leur communiquerait peut-être un jour ? En attendant, ils ne pouvaient ni ne devaient forcer sa confiance. Mais, tout en observant vis-à-vis des jeunes filles une discrétion absolue, il se passait peu de jours sans qu’un prétexte quelconque s’offrît à George ou à Fernand, parfois à tous deux, d’aller rendre visite au palais du gouverneur. Dona Mercedes les accueillait avec bienveillance, Carmen avec une satisfaction qu’elle ne dissimulait pas à sa sœur. C’était un intérêt dans leur vie solitaire,