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Parole : c’était une sorte ; d’Hercule, nommé Qgmios. Dans l’irlandais actuel, dérivé du celtique, l’alphabet primitif s’appelle oghum, et l’inventeur de cet alphabet, Ogma. Couvert d’une peau de lion, tenant de la main droite une massue et de la main gauche un arc tendu, Hercule-Ogmios traînait à sa suite une multitude d’hommes attachés par les oreilles. Les liens, qui enchaînaient ces hommes étaient d’ambre et d’or, artistement travaillés ; ils partaient de la bouche et de la langue même du dieu : celui-ci souriait à ses auditeurs captifs, et ceux-là, pleins d’enthousiasme pour leur guide, se réjouissaient d’être enchaînés. Le génie de l’ancienne race gauloise éclate dans ce symbole qui unit la vigueur physique à la puissance de l’esprit. C’est là le mot de Caton réalisé : « Les Gaulois ont une double ambition, bien parler et se bien battre.  » Leur idéal était le héros éloquent, celui dont le bras et la parole sont également irrésistibles. La numismatique a retrouvé cet emblème. On a des statères gaulois, du IIe siècle : avant notre ère, trouvés dans le pays chartrain, qui nous représentent, Ogmios, avec son cortège et ses conquêtes : tantôt ce dieu est vieux, comme dans la description de Lucien, et personnifie l’éloquence en cheveux blancs ; tantôt il a le profil jeune, la beauté régulière d’un Apollon. Ce sont les deux âges et les deux saisons de l’éloquence.

Quand la Gaule vaincue reçut la civilisation en échange de son indépendance, les dons heureux qu’elle tenait de la nature, ardemment cultivés, fleurirent et fructifièrent. Dès le temps de Strabon, c’est-à-dire sous Auguste, les villes et les particuliers faisaient venir à grands frais des rhéteurs étrangers autour desquels s’empressait une jeunesse intelligente et curieuse ; la passion du beau langage était si vive chez les Gaulois, selon la remarque du sophiste Thémistius, qu’ils surpassaient en cela les Grecs eux-mêmes : « La vue d’un manteau de rhéteur, dit-il, les attire comme l’aimant attire le fer. » Personne n’ignore ce qu’a produit, pendant quatre siècles, cette noble ardeur, combien d’écoles se sont fondées, combien d’illustres talens ont honoré le nom gaulois à Rome, en Italie et dans tout l’Occident ; mais est-il vrai, comme on le répète, que cette verve oratoire n’ait été qu’une rhétorique brillante et vaine ? Cette exubérance de la parole publique ne nous offre-t-elle que des discours de professeurs et des panégyriques ? Il se présente une objection bien connue : comment la Gaule, réduite en province romaine, aurait-elle gardé la liberté et l’éloquence politiques, lorsque Rome victorieuse et maîtresse du monde les avait perdues l’une et l’autre ? La question est précisément de savoir si cette opinion, passée à l’état de lieu commun, est aussi certaine qu’elle est accréditée.