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l’ambition de rester maîtresse de l’Orient et la nécessité de se conformer à ses récens engagemens. Elle ne se retire qu’avec lenteur, disputant sur tout, dissimulant sa stratégie, et elle en est quitte parfois pour charger le comte Schouvalof d’expliquer ses intentions, d’assurer à tout le monde qu’elle ne désire que l’exécution du traité de Berlin. Au fond, elle joue avec le feu, un feu qu’elle a allumé, et cette politique pourrait n’être pas sans péril pour elle. L’Autriche, satisfaite d’avoir son armée en Bosnie et visiblement décidée à pousser jusqu’au bout son aventure, l’Autriche se trouve d’un autre côté aux prises avec toutes les difficultés d’une situation intérieure compliquée, Le comte Andrassy a fort à faire pour avoir raison des délégations austro-hongroises réunies à Pesth, pour obtenir le vote des crédits sans lesquels il ne peut aller bien loin. L’Angleterre, quant à elle, a pour le moment à faire face tout à la fois et à L’exécution du traité de Berlin, qu’elle poursuit résolument en Europe, et à une guerre asiatique, qui n’est qu’une suite de la dernière crise orientale.

La question est tranchée en effet, l’Angleterre est désormais engagée dans une nouvelle guerre de l’Afghanistan. Vainement on a essayé de négocier avec l’émir de Caboul ; vainement les autorités anglaises de l’Inde ont employé leur diplomatie à lier le petit potentat afghan placé à la frontière de l’empire britannique : l’émir de Caboul s’est dérobé aux négociations. A-t-il été formellement encouragé à la résistance par la mission russe récemment envoyée à Caboul ? A défaut de promesses explicites a-t-il cru que dans tous les cas il serait soutenu ? Toujours est-il qu’il n’a voulu rien entendre et qu’en présence d’une attitude visiblement hostile l’Angleterre n’a plus hésité. L’armée anglaise, déjà disposée sur la frontière, surtout vers Peschawer, s’est ébranlée et a pénétré à travers les premiers défilés qui gardent l’Afghanistan. Elle s’est formée en trois colonnes dont deux marchent dans la direction de Caboul ; la troisième parait destinée à opérer sur Candahar. L’armée anglaise, forte de près de 30,000 hommes, dont la plus grande partie, il est vrai, est indigène, paraît suffisante pour faire face à tout. Jusqu’ici elle n’a rencontré aucune résistance sérieuse, elle s’est emparée des premiers forts qui gardent les défilés, rien n’a arrêté sa marche. Ce n’est là cependant qu’une campagne qui commence et qui, à mesure qu’elle avancera, doit inévitablement avoir à vaincre d’immenses difficultés dans ces contrées montagneuses et sauvages. En présence des colonnes anglaises, séparées par de longues distances, placées dans l’impossibilité de s’appuyer mutuellement, contraintes à des marches dangereuses, exposées à des souffrances inévitables, la retraite des forces afghanes n’est-elle pas le résultat d’un plan stratégique que l’émir a pu ne pas trouver tout seul ? N’a-t-elle pas pour objet de laisser les Anglais s’engager, se fatiguer dans une campagne où ils finiront par rencontrer des forces concentrées ? Les surprises et les péripéties ne sont pas