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création. C’est par leur faute, uniquement par leur faute que nous avons engravé et perdu tant de chalands. La mer était belle, la journée singulièrement propice. A dix heures du matin la brise du large s’élevait, la brise des jours d’été, tiède et caressante. C’en était assez pour border la rive d’une légère frange d’écume. Impossible de mettre, à partir de ce moment, un cheval à terre.

Le débarquement se trouvait suspendu. Les officiers erraient impatiens sur la plage, s’en prenant parfois à la marine, qui n’y pouvait rien. On faisait un effort, et le chaland allait tout simplement s’emplir d’eau et de sable jusqu’au bord. Nous opérions dans des parages d’une clémence inouïe ; qu’eût-ce été s’il eût fallu agir dans la Manche ou dans la mer du Nord ? Qu’il nous soit donc permis d’insister encore une fois sur ce point. Nous ne possédons pas le moyen de débarquer des chevaux. Les chalands ne peuvent se coller que sur les flancs des plus gros navires et, quand on s’est donné l’embarras de les emmener sur les lieux, on est tout étonné de s’apercevoir qu’on n’en peut pas faire usage. Qu’est donc devenue la péniche de Boulogne ? Le premier consul ne la destinait qu’à porter au rivage ses soldats ; j’aurais quelque idée de lui confier, en la perfectionnant, nos chevaux. Le temps ne nous manque pas pour étudier ce problème, car, grâce à Dieu, on n’entend gronder, que je sache, nul orage. Nous pouvons donc tout mener de front à loisir : la construction de la flotte sans laquelle la flottille ne pourrait sortir du port, l’étude de la flottille, seul moyen de mettre l’armée de mer en mouvement. Quand nous aurons tout cela, je serai encore d’avis, si la chose est honorablement possible, de suivre le conseil de Cinéas et de rester chez nous. Pour récompenser notre sagesse, l’équité de l’Europe nous viendra peut-être en aide.

Ah ! si la guerre n’était que le champ de bataille, on pourrait s’y engager sans tant de réflexions ; mais la guerre a toujours son terrible cortège, même quand elle est heureuse. Le moindre des maux qu’elle traîne presque invariablement après elle, c’est la peste. Quand le fléau, apporté d’Ethiopie, eut gagné du Pirée la ville haute, quand la contagion eut rendu la compassion envers les malades et la piété envers les morts périlleuses, quand on vit des milliers de malheureux se rouler dans les rues autour des fontaines, sans secours, sans amis, tordus par la douleur, dévorés par la soif, quand les temples, asiles de toute cette foule qui avait, sur l’ordre de Périclès, abandonné le toit paternel, regorgèrent de cadavres privés de sépulture, Athènes perdit courage, et, dans l’excès de son désespoir, chercha autour d’elle une victime. Qui pouvait-on rendre responsable de ces maux, sinon l’homme qui par son influence avait décidé le peuple à relever fièrement le défi que lui jetait le Péloponèse ? Périclès fut traduit devant l’opinion publique