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au-dessus de la mer. Les rames des thranites, telles que les décrivent les tables attiques, pouvaient donc garder encore leur efficacité, avec une longueur évaluée à quatorze pieds. Nos avirons de chaloupe ont près de vingt-deux pieds de long ; ceux de nos canots-majors dix-sept ou dix-huit. M. Jal crut devoir donner à la rame de ses thranites une longueur de 7m,20 environ.

Après cette minutieuse description, non pas précisément de la trirème conçue par M. Jal, mais de celle qui peut arborer fièrement aujourd’hui le drapeau de la critique allemande, j’aurais mauvaise grâce à persister dans mon hérésie. Il me reste cependant une ressource, et j’en use. C’est une trirème et non pas une trière qu’on a voulu construire sur les chantiers d’Asnières. C’est une trirème également que nous laissent entrevoir, en se dégageant complaisamment devant nous, les brouillards de la Sprée. Celui qui inventa cette belle machine peut fort bien avoir été un Romain ; il ne s’est jamais appelé Thoïque de Samos ou Aminoclès de Corinthe. Quand le lecteur aura suivi, ainsi que je l’ai fait, les trières de la guerre du Péloponèse sur le champ de bataille, il sera, j’en suis sûr, de mon avis. Les bâtimens à rames qui ont combattu dans le golfe de Patras, à Pylos, en Sicile, à Ægos-Potamos, étaient des vaisseaux essentiellement maniables. La facilité de leurs mouvemens, la rapidité de leurs manœuvres suffisent à éloigner toute idée d’un appareil de propulsion compliqué. Faire simple est le premier besoin des gens qui vont jouer leur vie et leur réputation. Combien de chinoiseries dont on fait grand état en temps de paix s’évanouissent comme par enchantement au premier bruit du canon ! La tactique des Grecs est sans contredit le meilleur éclaircissement que l’on puisse souhaiter des doutes qui subsistent encore au sujet de leur architecture navale. Nous comprendrons trop bien leurs combats pour que leurs navires nous demeurent, dans leurs procédés de locomotion, incompréhensibles.


V

Les Athéniens se sentaient de force à dévaster le Péloponèse, non à le conquérir ; ils auraient voulu le réduire par une sorte de blocus hermétique. C’est en vue d’atteindre ce résultat qu’ils pressaient de tout le poids de leur flotte sur Mégare, qu’ils chassaient d’Égine les habitans de cette île et s’appliquaient à garder sous leur influence toute la côte septentrionale du golfe de Corinthe, en regard de l’Achaïe, toute l’Acarnanie qui fait face aux îles Ioniennes. Ces îles, que nous avons pris l’habitude de nommer les Sept-Iles parce que les Vénitiens y avaient compris Cérigo, étaient ainsi rangées, en allant du nord au sud : Corcyre et Paxos couvraient les rivages de l’Épire ; Leucade, au-dessous du golfe d’Ambracie, défendait avec