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vastes forêts appartenant à ma mère. Il les avait parcourues, explorées dans tous les sens, et malgré ses nombreux voyages il avait conservé de ce site étrange un souvenir ineffaçable. Parfois il disait en riant que, quand viendrait pour lui l’heure du repos, il aimerait vivre dans cette solitude. De retour à Mexico, j’étudiai ce papier qu’il nous avait fait tenir ; je cherchai sur les cartes la route qu’il avait dû suivre pour éviter les croiseurs ennemis. J’avais noté avec soin le récit fait par le matelot. Mon père n’avait pu atterrir qu’à Cuba ou sur la côte du Yucatan. Il la connaissait et pouvait de là gagner l’Angleterre. Plus j’y réfléchissais, et plus je me confirmais dans cette pensée. Si je ne me trompais pas, le plan qui m’avait été remis devait être celui d’une de ces ruines. En tout cas, je trouverais peut-être à Mérida quelques indices de son passage. J’y vins avec Carmen. On ignorait notre nom ; seul, le curé Carillo reçut mes confidences. Je questionnai sans succès, puis je me retirai à Uxmal, triste, découragée, mais retenue par je ne sais quel instinct secret. Il me semblait qu’ici ma vie devait changer... qu’un jour viendrait...

— Et ce jour est venu, acheva Fernand. N’en doutez pas, Mercedes, c’est Dieu qui vous a conduite ici, c’est lui qui m’y a amené. Est-ce pour mon bonheur ?.. Je ne sais, vous me le direz plus tard. En ce moment, je n’ai qu’une pensée, et ce que vous me dites dissipe mes derniers doutes. Ce papier mystérieux est le plan de ce palais. Les chiffres écrits au verso sont l’indication détaillée des sommes confiées à votre père. Il les a cachées ici, les sachant protégées par la frayeur que ces ruines inspirent aux Indiens. Ces lettres U. M. M. D. signifient : Uxmal. Memorandum Money Deposited. C’est d’ici qu’il vous aura écrit et qu’il a dû chercher à gagner la côte en évitant Mérida et Sisal, où il courait risque d’être reconnu. Campêche est à cent milles dans l’ouest. C’est de là qu’il vous a expédié cette lettre. Comment a-t-il pu, sans aide, sans secours, franchir cette distance à travers les forêts ? Je l’ignore. Quant à cet Harris dont vous parlez, je le connais et je m’explique maintenant la haine qu’il vous porte. Il croit votre père criminel. Il croit qu’il a détourné les fonds confiés à sa loyauté et vendu à l’ennemi le secret des passes de Charleston. Songez que lorsqu’il s’est séparé de lui il le laissait en sûreté, libre de poursuivre sa route sous pavillon neutre et qu’il ne s’explique pas le silence qui s’est fait depuis. Votre père s’est-il embarqué à Campêche ? Capturé par des croiseurs, a-t-on saisi sur lui les notes qui ont facilité à l’ennemi l’entrée de Charleston ? Je ne sais... Je le crois mort... mais innocent... j’en suis sûr.

Avec quelle anxiété elle l’ écoutait ! Absorbé dans la même pensée