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organiques qu’un simple rapport de correspondance, selon la pensée. de Leibniz. Profondément convaincu, avec Stahl, de l’unité du principe vital, il va plus loin que ce dernier, et repousse énergiquement la doctrine animiste qui en divise l’activité en deux modes distincts, l’un qui est la vie propre et intime de l’âme, l’autre qui se réduit à une action extérieure sur l’organisme. Il est bien vrai que, dans la conception de Stahl, cette action est créatrice, aussi bien que motrice et régulatrice. L’âme crée son corps ; la pensée du philosophe animiste ne laisse aucun doute à cet égard. Seulement l’âme crée le corps, comme Dieu crée le monde, en restant étrangère à l’œuvre créée. M. Chauffard ne se contente pas de l’unité de principe, comme l’animisme ; il lui faut encore l’unité de vie. Il identifie tellement la cause vitale avec son œuvre que, pour lui, l’organisme n’en est pas seulement la création, mais encore la réalisation. C’est la cause vitale elle-même en action ; c’est l’unité vivante dont l’activité rayonne partout, remplit et pénètre l’organisme entier. C’est pourquoi, dans tout le détail des opérations qui concourent à la formation, à l’organisation et à la conservation de l’être vivant, il n’est pas un mouvement qui échappe, non-seulement à l’action, mais même à la création de la cause vitale. En un mot, M. Chauffard est vitaliste, dans toute la force du mot. Une telle manière d’entendre le vitalisme pourrait soulever des difficultés parmi les partisans du spiritualisme traditionnel ; mais il faut convenir que, d’un autre côté, elle fortifie la thèse de l’auteur contre les objections des écoles matérialistes qui reprochent surtout au spiritualisme sa conception trop abstraite de la cause vitale. En tout cas, M. Chauffard peut répondre qu’il fait de la physiologie et laisse à la psychologie le soin de résoudre le problème[1].

Sur cette œuvre de discussion essentiellement physiologique, nous n’avons qu’une réserve à faire. Tout ce que la philosophie vitaliste peut expliquer M. Chauffard l’explique de la façon la plus satisfaisante, selon nous. Il est un point sur lequel son argumentation ne nous semble pas suffire : c’est en tout ce qui touche aux questions d’origine. Tant qu’on s’enferme dans l’ordre actuel des espèces vivantes, soit animales, soit végétales, on y rencontre des limites que les hypothèses les plus hardies ne peuvent franchir. C’est ainsi que l’abîme entre les deux règnes n’a pu être comblé ni par la théorie gratuite des générations spontanées, ni par aucune hypothèse de la

  1. On a pu reprocher au livre de M. Chauffard de trop parler de doctrine et de tradition. Cette affectation, qui n’est pas en effet rigoureusement scientifique, ne se retrouve point dans tout ce qui est analyse, démonstration et explication. C’est une simple profession de foi spiritualité qui n’influe en rien sur la méthode et les théories de l’auteur.