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l’influence anglaise, dans la seconde tout est imité de la France. Le plan du nouvel édifice judiciaire est si fidèlement calqué sur le plan de notre palais de justice que nous n’avons pas besoin d’en décrire la distribution, c’est celle de nos propres tribunaux depuis la révolution. On y retrouve toute notre organisation judiciaire à triple étage, nos tribunaux de première instance, nos cours d’appel, notre cour de cassation. On y rencontre nos juges et, nos avocats, nos procureurs et notre jury. Ici nous avons moins à étudier les dispositions de l’édifice qu’à regarder ce qui se passe derrière ces murs si pareils aux nôtres, dans ces salles extérieurement si semblables à celles que nous connaissons.

Dans l’architecture même des deux monumens, il y a toutefois une différence qui frappe les yeux et donne à l’imitation russe un véritable avantage sur son modèle français. Les proportions des différentes parties de la copie sont singulièrement plus larges, plus amples que celles de l’original, les fenêtres de la façade sont relativement moins nombreuses et moins petites, les pièces de l’intérieur plus vastes et mieux aérées. En France, l’organisation judiciaire, trop servilement calquée sur l’organisation administrative, présente un nombre exagéré de divisions et de subdivisions, de cours d’appel et de tribunaux de première instance. On s’aperçoit à première vue que toutes ces circonscriptions remontent à une époque encore dépourvue de rapides moyens de communication. En imitant la hiérarchie de nos tribunaux, la Russie s’est gardée d’imiter les étroites limites de nos ressorts judiciaires. Elle a comme nous des tribunaux de cercle ou d’arrondissement (okrougnyie soudy), mais au lieu de se borner comme en France à un seul district ou arrondissement administratif, la juridiction de ces tribunaux de première instance s’étend d’ordinaire à cinq, six, sept districts et souvent à tout un gouvernement plus grand et plus peuplé que nos départemens. La Russie a comme nous des cours ou chambres d’appel (soudebnyia palaty), mais le ressort de chacune de ces cours de justice embrasse toute une région de l’empire. Pour un territoire décuple et une population double, la Russie d’Europe a ainsi moins de tribunaux, moins de cours d’appel, moins de juges de toute sorte que la France[1]. A cet égard, la Russie se rapproche plus de l’Angleterre que de nous. Cette seule différence numérique ne sera pas chez elle sans influence sur la dignité de la magistrature, et par suite sur

  1. La Russie d’Europe, même après la récente introduction des règlemens judiciaires de 1864 dans les provinces de l’ouest, ne compte aujourd’hui qu’un peu plus de soixante tribunaux de première instance, avec neuf cours d’appel, Saint-Pétersbourg, Moscou, Kazan, Saratof, Kharkof, Odessa, Kief, Smolensk, Vilna. Le royaume de Pologne et le Caucase restent comme la Finlande en dehors de ces chiffres.