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aucun motif ; il reste libre de présenter lui-même ses propres candidats à côté des candidats du tribunal. On comprend qu’avec une pareille procédure, avec de telles précautions contre leur propre système, les rédacteurs des règlemens judiciaires ont laissé peu d’efficacité à ce droit de présentation. L’autorité de l’opinion pourrait seule lui rendre une valeur réelle, en amenant le ministre à accepter d’ordinaire le choix des tribunaux ou le souverain à préférer les candidats des magistrats à ceux de son ministre.

Par malheur, le jour où l’opinion publique serait assez puissante pour en faire une vérité au lieu d’une formalité, ce mode de nomination des juges sur la présentation des tribunaux aurait perdu sa principale utilité. Si un tel mode d’investiture des magistrats convient quelque part, c’est en effet dans un pays où le pouvoir est trop fort et la société trop faible pour que le premier soit dirigé par la seconde. Partout ailleurs, ce droit de désignation de la magistrature pourrait offrir presque autant d’inconvéniens que d’avantages. Les défauts en seraient tout différens de ceux de la justice élective, mais peut-être égaux. La magistrature, que l’élection risque de rendre trop dépendante de l’opinion et des partis, risquerait en se renouvelant elle-même de devenir trop indépendante de la société, trop isolée de l’opinion. Dans une magistrature recrutée à la façon d’une académie, comme dans nos anciens parlemens recrutés par la vénalité des charges, l’esprit de corps deviendrait excessif, la routine dangereuse, les prétentions abusives, les erreurs traditionnelles. Dans la plupart des tribunaux de province, les relations de famille ou de voisinage pourraient souvent avoir plus de part aux choix que le mérite des candidats. Si ce droit de présentation offre quelque part des avantages durables, ce serait moins dans les tribunaux inférieurs que dans les cours d’appel, et surtout dans la cour suprême, dans le sénat, qui aujourd’hui en est seul entièrement dépourvu.

L’indépendance du juge vis-à-vis du pouvoir, comme vis-à-vis des partis, est une chose si essentielle à une bonne justice, que, pour l’assurer, les états ne sauraient trop prendre de précautions. De tous les procédés mis en usage pour cela, le plus pratique et le plus simple semble encore l’inamovibilité. C’est celui qui donne le plus de garanties à la conscience du magistrat, tout en respectant le mieux le droit de la société à choisir ses juges, celui qui concilie le mieux le besoin de stabilité du magistrat avec le besoin de rénovation de la magistrature, et la liberté du jugement avec l’intérêt du juge. Les rédacteurs des règlemens de 1864 ont compris que cette garantie n’était pas moins nécessaire sous un gouvernement absolu que sous le gouvernement changeant