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quelquefois même des serfs[1]. Dans tout l’empire, le royaume de Pologne et les trois provinces baltiques étaient seuls à posséder des avocats dignes de ce nom[2].

Le barreau russe a été improvisé par les nouvelles institutions judiciaires. A la différence de la plupart des états d’Europe, le droit de plaider devant les tribunaux n’est pas encore en Russie le privilège spécial d’avocats régulièrement formés dans les écoles de droit. Toute personne d’une certaine moralité ou d’une certaine instruction peut être admise à plaider au civil comme au criminel. Cette disposition était imposée par le défaut d’hommes de loi, le législateur n’étant pas maître de créer soudainement tout un corps d’avocats. Ce ne sera peut être pas là toutefois une mesure transitoire. Il semble que l’on ne songe point à faire du droit de défendre les intérêts d’autrui le monopole d’une corporation. L’état en effet n’a pas les mêmes raisons d’exiger des garanties de capacité de l’avocat que du médecin. On comprend qu’à côté des avocats proprement dits, contrôlés par l’état et pour ainsi dire marqués du poinçon officiel, puissent encore plaider à l’occasion des hommes n’ayant d’autre titre que la confiance de leurs cliens ou la pratique des affaires. C’est ce qui se voit aujourd’hui en Russie ; le droit de défense y est libre, il est seulement soumis à une réglementation qui pratiquement en restreint beaucoup l’exercice et diminue à la fois les inconvéniens et les avantages de cette liberté, car le système en vigueur aboutit à créer au-dessous des avocats réguliers une classe de défenseurs de moindre instruction qui font également du barreau une profession, et ne diffèrent des autres avocats que par l’infériorité des connaissances.

Pour être admis à plaider en justice, il faut être pourvu d’un certificat que les tribunaux délivrent aux personnes qu’ils en jugent dignes[3]. Cette restriction a pour motif le grand nombre de gens de toute sorte et de toute classe qui, lors de l’ouverture des nouveaux tribunaux, se sont improvisés avocats, gens sans profession, employés sans place ou révoqués, anciens officiers ou sous-officiers en retraite, marchands ruinés ou négocians faillis. Le barreau était

  1. N. Tourguenef, la Russie et les Russes, t. III.
  2. L’édit de 1876, qui a rendu l’usage de la langue russe obligatoire et exclusif dans tous les tribunaux de l’ancien royaume, a mis fin à l’existence du barreau polonais.
  3. Pour décider de la capacité d’un individu, les tribunaux peuvent lui faire passer un examen. Chaque tribunal de première instance ou d’appel (comme chaque assemblée de paix) désigne les personnes admises à plaider devant lui. Pour le certificat ainsi délivré, il faut payer un droit assez élevé qui équivaut à une patente. Tout homme auquel un tribunal refuse le droit de plaider peut en appeler au tribunal supérieur jusqu’en cassation. Le même droit d’appel appartient au procureur s’il juge un homme autorisé à plaider indigne de cette faveur.