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uns étaient aussitôt devenus chrétiens ; d’autres, en restant fidèles à l’ancienne religion, ne se dissimulaient pas ce qu’elle avait d’imparfait, et qu’elle devait être largement réformée. Ces sentimens, on n’en peut douter, étaient ceux de Julia Domna et de ses amis. La Vie d’Apollonius nous montre l’idée que les lettrés et les gens du monde se faisaient d’un réformateur religieux qui aurait satisfait l’esprit nouveau sans rompre entièrement avec le passé ; nous y voyons nettement ce qu’ils auraient souhaité que fût le Christ. Il est donc intéressant d’étudier cette figure d’apôtre philosophe dans laquelle ils résumaient leurs désirs et leurs regrets, de voir en quoi elle se rapproche du Christ véritable et en quoi elle en diffère. Esquissons-en rapidement les traits principaux.

D’abord Apollonius est un Grec d’origine. A la vérité il n’est pas de la Grèce propre, mais on nous fait remarquer que, bien que né dans la Cappadoce, il parle l’attique le plus pur, « et que même le contact de l’idiome de son pays n’altéra pas la pureté de son langage. » C’est bien en Grèce, dans ce pays privilégié de l’intelligence, et non dans quelque contrée barbare, que le réformateur païen devait naître. Était-il possible qu’un Syrien ou un Juif eût quelque chose à enseigner au pays de Platon et de Pythagore ? Mais le préjugé n’a pas tout à fait ici la même force ; si Apollonius est un Grec, il ne croit pas que les Grecs soient les seuls qui aient eu accès à la sagesse. Il admire beaucoup les brahmanes de l’Inde et les gymnosophistes de l’Égypte, et il va chercher dans leurs écoles ce que la Grèce ne lui avait pas appris. Ce n’est pas non plus pour les Grecs seulement qu’il enseigne. Il appelle à lui tous ceux qui veulent y venir, quelle que soit leur origine, et l’on a vu que son disciple préféré était un Assyrien de Ninive. — On voit bien que nous sommes au temps où l’apôtre disait : « Il n’y a plus de Grecs ni de barbares, mais nous ne formons qu’un en Jésus-Christ. »

Apollonius est un philosophe : c’est peut-être ce qui le distingue le plus de Jésus et de ses disciples, qui n’avaient jamais ouvert les livres savans des Grecs ; mais aurait-on pu comprendre, après l’éclat jeté pendant tant de siècles par la philosophie grecque, que le réformateur des mœurs et du culte ne sortît pas d’une école philosophique ? Apollonius a étudié tous les systèmes dans sa jeunesse ; il a fréquenté des disciples de Platon, d’Épicure, de Zénon, mais il s’est senti surtout attiré vers Pythagore et il s’est soumis sans hésiter pendant cinq ans au régime sévère du silence. Quoiqu’il tienne à se rattacher au passé, il n’est pas le continuateur rigoureux des anciens philosophes. Tantôt il cherche à suivre leurs traces, et tantôt il les abandonne. Il est bien leur disciple par un certain goût de subtilité raffinée, auquel l’esprit grec n’a jamais