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villages, on serait tenté d’accepter comme irrémédiable cette prétendue incapacité qu’auraient les hommes de notre race à rencontrer la justesse toutes les fois que, réunis, ils s’avisent de chanter. Hâtons-nous d’ajouter que ce qui a été fait jusqu’ici dans nos écoles et dans nos lycées ne nous paraît pas de nature à modifier une aussi fâcheuse disposition.

C’est cependant pour la combattre qu’avait été fondée, il y a plus de cinquante ans déjà, l’institution des orphéons. L’entreprise était aussi patriotique que morale, à la condition toutefois que l’exécution répondît à la grandeur de l’idée. L’impulsion donnée, il semblait d’ailleurs que rien ne fût plus facile que de diriger le mouvement. On n’avait qu’à choisir, comme il était naturel, parmi tant d’immortelles créations des maîtres celles qui par leur caractère élevé, par la franchise des mélodies et du rythme, par la noble simplicité des combinaisons, pouvaient le mieux convenir à ces masses chorales qu’on prétendait former et instruire. Il n’en fut pas ainsi. Les orphéons, pour leur malheur, trouvèrent leurs pourvoyeurs attitrés dans les rangs de ces compositeurs méconnus auxquels ni le théâtre, ni les morceaux de concerts, ni les romances n’avaient pu faire une notoriété. Pour ceux-ci l’aubaine était inespérée : ils allaient avoir des interprètes et un public. Mais la tentative aurait mérité d’être prise de plus haut.

C’est une opinion trop commune que, pour vulgariser, il faut amoindrir, et en fait d’art comme en fait de littérature, il y aurait fort à dire à cet égard. Est-il rien de pire par exemple que quelques-unes de ces publications qui, par leur bon marché ou à raison des sujets qu’elles traitent, affichent sur leur couverture la prétention de s’adresser aux masses ? Répandre, sous prétexte de morale, ces petites nouvelles bien niaises, ces fadeurs sentimentales dans lesquelles vertu n’est guère-que synonyme d’ennui, c’est tourner en dégoût ou tout au moins rendre inutile une ardeur de lire qui, bien dirigée, est une des forces vives de notre temps. Il en va de même à propos d’art, et alors que, désireux de se soustraire à de grossiers plaisirs, des hommes de bonne volonté, des ouvriers, se groupaient entre eux pour consacrer à la musique les rares loisirs de vies absorbées par le travail, il était juste de leur donner des satisfactions dignes d’eux. Les œuvres les mieux faites, les œuvres les plus expressives n’auraient pas été de trop dans ce cas. A leur place, ce furent des pauvretés musicales sans nom, les plaintes du vent ou le bruissement du zéphir, ou bien des imitations puériles de cloches, de tambours et de locomotives qui, presque exclusivement, défrayèrent le répertoire de nos sociétés chorales. Toutes ces merveilles formaient les programmes de concours dans lesquels ils s’agissait de paraître avec honneur et de compléter, par un appoint suffisant de