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médailles, la parure des bannières des associations. Les concours devenaient ainsi facilement un prétexte à pèlerinages bachiques et à mesquines rivalités entre sociétés voisines. Ce qui aurait dû être un instrument de moralisation et de culture se tournait en occasions de déplacemens, de paresse et de dépenses, et l’on pouvait se demander si les masses pour lesquelles, avec les meilleures intentions du monde, on avait imaginé ces dangereuses distractions n’en recueillaient pas, en somme, plus de dommage que de profit.

Tout cela a trop longtemps duré, et, trop souvent détournée de ses véritables voies, la musique, considérée comme moyen d’éducation populaire, a perdu chez nous l’influence moralisatrice que, mieux qu’aucun autre art, elle est propre à exercer. Certes l’étude du dessin offre une utilité plus directe : dans presque toutes les professions, elle devient une cause de progrès et de supériorité, et la culture du goût sous ce rapport se traduit pour un pays par un accroissement de la fortune publique. Mais, à son tour, la musique chorale doit être plus qu’une distraction offerte à toutes les classes d’une nation et, pour paraître moins immédiate, son utilité n’est pas moins réelle. Elle excelle en effet à faire naître et à développer ces sentimens de générosité, de dévoûment et d’enthousiasme qui sont la force d’un peuple. Elle les prend à leur source et renvoie leur écho au plus profond de notre être. Elle a pour cela des ressources admirables, et loin d’être, comme les autres arts, condamnée à l’immobilité, elle agit et se transforme sans cesse avec ses contrastes, avec la simultanéité des accords ou la combinaison des rythmes les plus variés. Au moyen de ces formes animées, elle sollicite les esprits les plus inertes et, en leur communiquant son propre mouvement, elle évêque en eux ces pensées confuses, complexes, indicibles, qui dorment au fond de chacun de nous. Elle prête à toutes une représentation qui s’adresse aux natures les plus diverses parce qu’elle respecte la pleine liberté de notre âme et la convie à une muette et intime collaboration. Aussi, comme l’éloquence, elle a le don de pénétrer les foules et de les faire vibrer à l’unisson. Elle les rend plus fortes, plus courageuses ; elle les exalte au moment du danger ou les soutient durant l’épreuve et, entre les mains des maîtres, elle devient un des instrumens de sociabilité les plus énergiques parce qu’elle mêle les hommes par la plus active et la plus étroite union.

Qu’avons-nous fait, que faisons-nous encore d’une pareille force ? Et cependant notre race est loin d’être, comme on l’a dit, réfractaire à la musique chorale. On trouve chez nous autant qu’ailleurs des voix timbrées, étendues, souples et capables d’intonations correctes. Que de fois, dans les salles d’asile de village, nous avons entendu les petits enfans attaquer avec ensemble et justesse des